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Alki, du beau, du brut, du vivant

Simplicité du trait, sensualité du bois poncé, accords des belles matières, cuir ou laine vierge pour les assises, finitions et montage à la main et ce bois courbé devenu la signature de la Maison Alki.

« Penser global, agir local » pourrait être la devise de Peio Uhalde depuis qu’il a fondé la coopérative Alki à Itsasu. L’atelier basque de fabrication de meubles lancé en 1981 a balayé quelques remous, renoncé aux meubles rustiques pour s’imposer aujourd’hui dans le mobilier contemporain, grâce à la vision de ses directeurs artistiques Iratzoki & Lizaso. Rencontre avec des défenseurs acharnés du beau et de l’éthique.

Le village d’Itsasu concentre tous les arcanes du Pays Basque intérieur. Des collines verdoyantes autour du Mondarrain, des volets rouges sur les fermes traditionnelles, des brebis et des pottoks et, pas très loin à Espelette, les incontournables tresses de piments sur les façades. Mais ne vous avisez surtout pas d’associer Alki à ces images un soupçon trop touristiques. Si les meubles Alki – littéralement « la chaise » en basque – portent fièrement l’estampille « made in Basque Country », c’est à d’autres valeurs et à d’autres images que se réfère le PDG de l’entreprise, Peio Uhalde.

« Je voulais d’abord faire vivre le territoire. Ma ligne de fuite, c’est que travailler pour un territoire crée naturellement un lien culturel entre les gens » lance-t-il en préambule.

L’atelier de meubles niché dans le Labourd résulte avant tout d’une volonté. Celle de construire une activité économique pertinente et pérenne qui apporterait du travail et permettrait de vivre dans un bassin essentiellement rural et peu industrialisé. C’est au Pays Basque sud que le projet germe. De 1978 à 1981, Peio y travaille le métal et la fonderie pour l’automobile au sein du groupe Mondragon. Le cadre coopératif de l’entreprise l’interpelle. Un jour, autour d’une table – comme naissent souvent les bonnes idées – il décide avec quatre autres comparses de bâtir un projet sur le Pays Basque, mais en France. Ce sera une entreprise de fabrication de mobilier en bois. « Le bois était plus accessible que le métal. Mais aucun de nous n’avait jamais fabriqué ni même vendu une chaise classique » raconte-t-il. Peio apprend sur le tas, au propre comme au figuré. Il mesure les planches de bois, se familiarise aux essences, à la découpe, au séchage et, surtout, adopte le modèle coopératif d’organisation pour son entreprise. « C’est du gagnant-gagnant. Chacun a pris ses responsabilités, on a misé sur le déploiement du travail plutôt que sur les diplômes et la confiance s’est mise en place peu à peu » se souvient-il. Le principe de la coopérative est clair : 45 % de participation en parts égales du temps de travail pour les employés adhérents, 45 % de réserve impartageable (Recherche et développement…), 10 % pour rémunérer le capital.

Du rustique
au contemporain

En 1982, la production Alki démarre avec des meubles traditionnels. Des chaises et des tables patinées à l’ancienne, des bois sombres et teintés. Jean-Paul, vernisseur et responsable d’expédition, présent dans l’atelier depuis 1982, raconte : « Je devais faire vieillir artificiellement les meubles, comme s’ils avaient une légère grisaille due au temps et presque comme de la poussière. » Au fil des ans, le meuble traditionnel fait moins recette. Les années 90 voient émerger une concurrence à bas prix et les mastodontes du meuble en kit commencent à déployer leur rouleau compresseur. L’évolution du goût des ménages et la diminution de la taille des logements achèvent de faire souffrir les chaînes de fabrication, en dépit d’une collection en fer forgé et bois qui marche bien. Alki s’essouffle, Peio sait qu’il faut réagir. En 1999, grâce à un ami commun, il rencontre Jean-Louis Iratzoki, designer industriel – il a depuis créé le studio de design Iratzoki-Lizaso avec son associé Ander Lizaso. Peio lui demande de refondre ses modèles. Jean-Louis le regarde avec un sourire moqueur. Ce sera oui pour revoir la copie d’Alki, mais non pour revisiter les classiques de la maison. Le designer propose de repartir d’une page blanche. Une nouvelle époque s’ouvre, avec un temps de recherche sur les nouveaux modèles qui doivent cohabiter avec les dernières commandes de meubles classiques. Encore aujourd’hui, Jean- Louis se souvient de cette période compliquée et de la réaction de Peio.

« Avec le design, on a apporté une vision nouvelle, mais la notion de design a toujours été mise au service de la stratégie. Peio est un homme à l’écoute, toujours en veille. Il était prêt à renouveler toutes les gammes si le projet s’inscrivait dans les valeurs de l’entreprise. Je savais de mon côté que le tr aditionnel avait fait son temps, qu’il f allait proposer autre chose ».

En interne aussi, il a fallu faire passer la nécessité du changement. « Mais une coopérative possède le gêne de la résistance active et collective ! » clame avec amusement Peio, « et puis le fait qu’on soit issu de la même culture avec Jean-Louis a été très important. Il nous fallait un designer qui s’intègre au projet Alki pour dessiner le nouvel horizon de l’entreprise ».

La ligne Emea en 2005 signe ce nouveau départ. Du chêne massif clair en lieu et place des bois foncés et des lignes ultra simples et épurées. Un design de l’essentiel porté par des matières nobles qui se fait remarquer positivement au salon Maison & Objet. Le style Alki se confirme : simplicité du trait, sensualité du bois poncé, accords des belles matières, cuir ou laine vierge pour les assises, finitions et montage à la main et ce bois courbé devenu la signature de la maison. Pour la chaise Kuskoa, l’un des best-sellers de la griffe, « l’idée était un chevalet en bois sur lequel on pose une coque, dans un esprit simple un peu en hommage à Eileen Gray » raconte Jean-Louis. « On l’a dessinée en retirant des choses, pour obtenir un objet simple, avec une économie de moyen qui est aussi une valeur de la ruralité et que j’aime beaucoup. » Simple mais toujours très dessinée, telle sera désormais la marque de fabrique d’Alki. Il faudra attendre 2010 pour qu’une proposition complète de meubles voie le jour. Des tables basses et hautes, des bureaux, des tabourets et des poufs viendront compléter l’offre. L’entreprise en profite pour retravailler son image globale, à l’instar de son catalogue réalisé par une plate-forme de compétences toutes situées au Pays Basque, du photographe au graphiste, au community manager ou à la direction artistique, toujours assurée par Iratzoki & Lizaso. « Ces premières années nous ont aidés à définir nos valeurs – l’éco-conception, la mémoire, le respect de la transmission. On a écrit le récit de la marque avant de produire et de fabriquer et c’est fondamental pour nous. Ce récit, c’est nous qui le racontons en interne. On tient à ne surtout pas être “folklorisés” basque. Le “made in Basque Country”, ce n’est pas un slogan, c’est une valeur, c’est l’idée de vivre et de travailler au pays en se prenant en charge, de mener une réflexion globale car on veut être un acteur économique et culturel du territoire » insiste Jean-Louis. Des designers de renom, comme Samuel Accoceberry et Patrick Norguet viennent apporter leur coup de crayon et un zeste de fraîcheur aux collections Alki. En 2015, la Kuskoa Bi (ci-dessus) première chaise en bioplastique (à base d’amidon de maïs) est présentée aux professionnels sur le salon Maison & Objet. Le challenge est osé, le succès au rendez-vous. Des étagères, des bancs, des tables de coworking et des chaises de bureau prennent place peu à peu dans les collections Alki.

Le sens du travail bien fait

Dans l’atelier d’Itsasu, ça sent toujours bon le bois. Les chaînes de travail sont dopées à la technologie et contrôlées depuis des écrans 3D. Le vernissage est toujours assuré à la main, sauf quelques peintures dans la masse, et les ponceurs assurent le fini si délicat du mobilier avec des brosses et des outils spéciaux. Ce mariage de geste artisanal et de haute technologie signe l’alliance de la qualité et du savoir-faire. Un mariage que connaît bien Alice, entrée toute jeune chez Alki. Elle veille à l’assemblage final et à l’expédition. « Au départ, ma motivation était de vivre et de m’établir ici. La coopérative, c’était nouveau, j’ai grandi avec l’entreprise », racontet- elle. Aujourd’hui, elle prodigue le dernier coup d’oeil, valide la qualité des produits. « Avant qu’une pièce soit mise dans son carton d’expédition, elle passe par moi. Je suis la dernière à la voir avant le client, alors c’est une responsabilité, il faut être minutieux, inspecter la moindre tache, le moindre petit défaut. » Alice assure aussi le montage des assises sur les pieds. Cette dernière étape d’assemblage faite à la main nécessite encore quatre heures de séchage par chaise. Pour les équipes en place depuis le lancement de l’entreprise, le virage design n’a pas été forcément évident à aborder. « C’est une autre façon de travailler le bois, mais j’ai apprécié de plus en plus les nouvelles gammes, au point que j’ai changé tout le mobilier chez moi ! » avoue Alice. De l’autre côté de l’atelier, Sophie veille à la sortie de pièces usinées sur l’écran de contrôle. Jeune apprentie à l’atelier depuis deux ans, cette diplômée d’école d’architecture se destine finalement à l’ébénisterie marine. Son passage chez Alki lui a appris « la précision, le sens de l’organisation, un réel souci du travail bien fait. Et puis j’aime l’idée qu’on s’inscrive tous dans une chaîne de travail » précise-t-elle. À la finition et à l’expédition, Jean-Paul est, comme Alice, aussi un peu la mémoire de l’atelier.

« Je suis entré ici un an après le lancement, motivé tout d’abord par le système coopératif car cela permet à chacun d’avoir une voix, de demander des comptes tout en étant efficace et productif. Le stress du camion qui attend de se remplir de nos produits pour les diffuser dans le monde entier, c’est un bon stress ! On est tous compétents sur deux trois postes ici. Moi j’ai été formé par un tapissier, puis par un maître vernisseur. Quand Peio nous a parlé de design, cela a été un peu laborieux au départ, mais on voulait tous sauver notre entreprise. Ce qui me passionne encore trente ans après, c’est de veiller à la dimension humaine de l’entreprise. C’est ma contribution au modèle coopératif » conclut Jean-Paul.

« Avant qu’une pièce soit mise dans son carton d’expédition, elle passe par moi. Je suis la dernière à la voir avant le client, alors c’est une responsabilité, il faut être minutieux, inspecter la moindre tache, le moindre petit défaut. Alice »

Aujourd’hui, l’entreprise fait vivre 35 personnes, exporte sa production aux quatre coins du globe et collabore avec des ateliers de soustraitance (tapisserie, métal…) situés dans un rayon de 100 km autour d’Itsasu. Un nouveau challenge attend l’entreprise. « On a un projet de construction d’une nouvelle usine pour 2020. En grandissant, il faut garder notre âme tout en ayant la volonté d’amener la coopérative toujours un peu plus loin » justifie Peio. Après la révolution des années 2000, Alki continue son évolution, essaime ses valeurs et remplit de beaux espaces de ses chaises et de ses tables (voir encadré ci-contre). La coopérative basque poursuit sa voie dans le respect des hommes, des valeurs et des matières. Le bois est toujours choisi avec soin – du chêne de futaie sans noeud issu de forêts gérées durablement en Bourgogne ou en Touraine principalement. Alki collabore pour cela avec une entreprise française spécialisée qui assure le séchage puis la prédécoupe des bois les plus qualitatifs. C’est ce bois magnifié par le temps, séché au moins deux ans et au veinage si particulier qui donne ce fini velouté, sensuel au toucher et intemporel. « Un chêne met 100 ans à grandir, une chaise doit durer pareil, c’est le respect minimum que l’on doit à la nature » affiche un Peio militant. « On a envie d’objets pérennes. On est fiers d’avoir fait quelque chose avec de l’ancrage mais dans une modernité de ligne évidente » rajoute Jean-Louis.

Alki équipe des maisons particulières,
des sièges sociaux d’entreprise,
des hôtels ou des restaurants. Parmi eux…

…Le Mucem à Marseille, les restaurants Mina à Bilbao et Orbela à Tolosa, le cabinet d’architecture Arotcharen à Bayonne, la chapelle de Laressore, la Cité de l’Océan à Biarritz, les Sources Caudalie, le restaurant de la Cité du Vin à Bordeaux et de la Fondation Vuitton à Paris, la Médiathèque de Brest, les restaurants Enyaa et Avant Seine à Paris, La Mère Brazier et Prairial à Lyon, les sièges sociaux de Hermès, Levis Strauss, le siège social monde de Quiksilver à Saint-Jean-de-Luz, des bureaux aux états-Unis, l’université de Lausanne, le restaurant Ubon au Koweït, le bar du Caffe Giardino au Japon, l’hôtel Max à Paris et Zazpi à Saint-Jean-de-Luz, la Maison de la Solidarité à Orthez, la Maison Berastegi au Pays Basque, l’incubateur d’entreprises dédiées à la glisse Olatu Beku à Anglet…

Le souhait commun des deux hommes ? « Que les gens n’achètent pas une chaise ou une table Alki mais adhèrent au projet » lancent-ils en choeur. Un projet qui met en lumière une production raisonnée, respectueuse des hommes et des territoires.

BLOSSOM #05
Visite privée
Du beau, du brut, du vivant

Rédaction : Nathalie Faure
Photographe : Jean-Michel DUCASSE

ALKI
ZI Errobi 64250 ITXASSOU
05 59 29 84 17
Horaires
Du lundi au vendredi
9:00-12:30
13:30-18:00
info@alki.fr
www.alki.fr