Le monde merveilleux de Michel Guérard
Dans son phalanstère naturaliste, Michel Guérard, c’est « l’honnête homme » du 17e tout à fait à l’aise dans le 21e. Avec une joie intérieure communicative, ce metteur en scène du beau et du bon a su s’entourer d’une troupe attentive et discrète. La tête dans les étoiles, le coeur à Eugénie, rencontre d’exception avec le triple étoilé français.
« Ce qui m’a plu dans ce lieu, c’est d’abord ma femme ! » confie en souriant Michel Guérard. L’esprit de Madame, Christine, est toujours là, dans le frémissement d’un arbre, le parfum d’une rose ancienne ou le crépitement des feux de cheminées, qu’elle souhaitait toujours allumés… La flamme vivante et chaleureuse résume bien leur couple, leur duo et leur rencontre dans les années 70. Lorsqu’il arrive à Eugénie-les-Bains, petit village landais confidentiel, Christine Barthélémy est en terre connue et porte déjà le thermalisme en héritage. « L’accueil des Landais a été extraordinaire, confie M. Guérard. On a senti tous les deux qu’on allait travailler à ce que cet endroit fasse parler de lui. Puis il y a eu ici une forme d’humanisme qui a abouti à une envie d’y rester. » Avec Christine et leurs deux filles, il détaille le beau et le bon, partage le parfum de la verveine, la passion pour l’art en général et le Second Empire en particulier – Eugénie oblige – dont il partage aujourd’hui les pièces exceptionnelles avec ses clients dans les Salons récemment redécorés de la Maison.
Précurseur et intuitif
La troisième étoile Michelin décrochée en 1977 et, surtout, le maintien au firmament de l’excellence gastronomique depuis 43 ans résume bien la conjonction des planètes. Dans son lieu bucolique et au fil des saisons, Michel Guérard dévoile ses talents. L’oeil d’abord. « Je ne connaissais pas le thermalisme, j’ai observé. » C’est ainsi qu’il a l’idée de la Grande cuisine minceur pour allier le plaisir, la santé et bien sûr le goût. Une révélation. Un immense succès mondial, tandis que sa Grande cuisine gourmande poursuit, elle, sa révolution.
La Nouvelle Cuisine dont il est un des pairs/pères se libère de la cuisine bourgeoise d’Escoffier tout en maîtrisant parfaitement les codes. Michel Guérard forme les futurs grands, Ducasse en tête. Toujours à l’affût de l’excellence, celle des hommes qui l’entourent, comme celle que la nature produit. Le locavorisme, les produits justes, la perfection d’un oeuf de poule ou d’esturgeon… Il construit autour d’Eugénie une écologie – et une économie – régionaliste avant que cela ne soit la mode, modifie le statut des chefs, se bat pour la visibilité de son métier qu’il aime classer dans l’artisanat d’art, en parle à ceux qui comptent à Paris et ailleurs. Sans jamais renier ses convictions et avec une intelligence intuitive que ne renierait pas Spinoza, qu’il aime citer par ailleurs. Entre la haute voltige gastronomique des Prés d’Eugénie, le terroir chic de la Ferme aux Grives, le luxe discret de sa Ferme thermale ou de la Maison Rose, les ateliers de son Institut de cuisine, le Café culinaire Mère Poule et le centre de cure traditionnel sis dans le domaine, son havre landais raconte une certaine idée de l’art de vivre à la française.
Un metteur en scène culinaire
« Le restaurant est un théâtre, quand on a compris cela, il faut soigner la mise en scène, le scénario, réécrire sans cesse les dialogues » déclame le chef de troupe Michel Guérard.
Avec lui la cuisine, c’est du spectacle vivant. Une technique millimétrée, une maîtrise absolue des assaisonnements et des sauces – « des qualités que j’ai décelées chez Hugo ». Et derrière le jeune chef, une brigade cosmopolite qui émulsionne un univers culinaire reconnu dans le monde entier. « Avec Hugo, j’ai installé un climat de confiance, d’amitié. » De respect aussi. M. Guérard vouvoie tout le monde, « une idée de ma femme et une vraie reconnaissance égalitaire de l’autre ». « La cuisine est un métier de composition, un besoin que l’on a à s’exprimer, pour se faire aimer » confesse-t-il. Cette cuisine humaniste, il la porte depuis le Pot-au-Feu, à Asnières, dans les années 60, sa première adresse. « Je n’avais pas le sou, j’ai demandé à Troisgros si je pouvais y installer le service à l’assiette, et puis j’ai pensé à la cloche pour saupoudrer le tout d’un peu de mise en scène ! » L’adresse du quartier populaire séduit le tout-Paris. La première, puis la deuxième étoile y brillent. Lorsqu’il part à Eugénie-les-Bains, Michel Guérard se laisse convaincre par son intuition, une fois encore. « J’ai eu une vie de mouvement, d’observation, de recherche » aime-t-il ajouter, convoquant le passé et dessinant l’avenir, au propre comme au figuré lui qui aime croquer ses nouvelles idées dans son carnet. Il aime à dire que « la cuisine française est une cuisine de civilisation ». Il aime aussi la confronter au souvenir, à l’émotion, à l’humour. Dernière ébullition créative, un canard au sucre pour répondre à celui au sang de la Tour d’Argent et au souvenir d’un extraordinaire voyage en Chine digne de Tintin. « Ses plats signatures, comme l’oreiller moelleux, il les recrée sans cesse, 6 ou 7 fois par an », confie Hugo Souchet, « il est toujours à la recherche du goût parfait… » L’oeuf, le caviar, la pintade, le homard dans sa carcasse en savent quelque chose…
L’arbitre des élégances
Il sourit quand on lui dit qu’il est devenu un monument du patrimoine culinaire français. Lui qui aime toujours les pas de côté, légers et charmants comme ses Repetto bleu vernis de funambule. Il se méfie des flatteurs, à commencer par lui-même, « je m’accorde peu de fleurs, je suis assez exigeant ». Les laudateurs et les puissants n’ont jamais manqué à sa table, à commencer par tous les présidents français, de G. Pompidou à E. Macron. C’est ici à Eugénie que J. Chirac a décidé de la dissolution de l’assemblée sous le regard inquisiteur de Madame. Des anecdotes, Michel Guérard en a autant que de beaux livres. Il n’hésite pas à nous raconter qu’il a frôlé l’incident diplomatique avec une pintade rosée qu’il a fallu repasser sous le gril lors du G7 à Biarritz ! Le ballet de la grande cuisine est une chorégraphie pleine d’imprévu. Et l’homme malicieux qu’il est resté s’amuse toujours des surprises. « J’ai eu de la chance d’avoir une vie mouvementée, dans le sauvetage, dans la rébellion. J’ai eu aussi la chance d’avoir eu peur et faim, à 9 ans, en 1942… Quand on se remet de ça, on est heureux de se réveiller chaque matin… J’ai voulu être curé, comédien, médecin de campagne. Je n’aurais pas été reluisant ! Finalement, j’ai créé un monde avec du vivant, c’est extraordinaire ! » conclut cet intarissable conteur d’histoire qui aime rappeler que « la curiosité est un élément formidable de la transformation du soi ».
Hugo Souchet, Chef de cuisines
À trente-trois ans, et un parcours d’excellence (Le Meurice, P. Gagnaire, D. Boulud, Le Louis XV), il orchestre la cuisine, ou plutôt les cuisines (Prés d’Eugénie, Ferme aux Grives, Café culinaire…). « On m’a laissé le temps de comprendre la philosophie de la Maison et d’apprivoiser la cuisine minceur qui n’était pas forcément dans ma culture. La langue de Monsieur Guérard est un langage subtil qu’il faut arriver à transcrire. » Posé, réactif, Hugo Souchet cherche le mot juste pour raconter cette cuisine du sensible. « Des plats simples à l’énoncé et à la vue, mais d’une complexité aromatique extrême dans la confection » résume-t-il. Il pèse ses mots comme il associe ses saveurs. « Le homard dans sa carcasse résume bien pour moi cet équilibre. Le baroque et le simple, l’évidence du visuel et la complexité aromatique, oui, cela raconte bien la cuisine des Prés d’Eugénie. Avec M. Guérard, les échanges sont quotidiens, il dessine beaucoup, ça bouge, ça cherche, avec une vraie qualité d’écoute sur ce que je propose. Et puis il y a cette Maison, son âme est l’ossature de tout. Passer sous la tonnelle, humer l’ADN du lieu, c’est déjà 30 % du travail réalisé. » Le beau est toujours inspirant.
Anne-Laure Nussbaumer, Directrice des Prés d’Eugénie
Pur produit de l’esprit Guérard depuis 1996, elle a l’oeil et l’oreille pour gérer ce Palace à la campagne et hors du temps. Dernier challenge avant-gardiste de la maison lancé en marge des cures minceur, la création des Retraites détox Sources et Jeûne. « La sérénité du lieu s’y prête. On a créé des recettes détox et jeûne végétal en gardant le niveau grande cuisine ; l’idée de ces retraites de ressourcement est de s’arrêter, de retrouver du temps “contemplatif ” tout en nourrissant son corps et son esprit avec soin. » Au programme smoothies et bols de légumes anciens, atelier lecture, yoga, sophrologie ou marche. « Donner du beau et du bon, c’est le fil conducteur de la Maison Guérard. Ici l’art de vivre à la française fait partie de la cure. Les maîtres-mots de ces cures Sources demeurent ceux de la Maison : beauté, excellence, harmonie mais aussi convivialité et générosité.» Tout un programme pour reconnecter avec l’essentiel.
Pierre Dubiau, Responsable des jardins
Le regard attentif et la connaissance solide, Pierre Dubiau veille aux 10 hectares et à l’harmonie d’un jardin qui incarne une certaine idée de l’élégance. Jamais ampoulé, loin des parterres manucurés, mais juste beau, ombragé, verdoyant, naturel et respectueux, il offre ses arbres magnifiques, ses vivaces exubérantes ou encore son potager aromatique aux clients comme aux curistes. « C’est un jardin de compromis où on laisse faire la nature ; on y travaille sans chimie, tous les déchets y sont recyclés, on veille à l’eau, on y est respectueux de ce que la nature produit, comme en cuisine. » Dernier projet sorti de terre, une prairie mellifère près de la Ferme Thermale pour les abeilles sauvages présentes sur le site. Le respect de la biodiversité est un des engagements forts et naturels de la Maison Guérard.
Le liant et le lien, l’humanisme érigé en luxe suprême, le sourire comme ultime élégance, Michel Guérard clôture le temps qu’il accorde avec une infinie délicatesse et sa recette la plus secrète, empruntée à Picasso : « On met longtemps à devenir jeune ».
BLOSSOM #10
Visite privée
Les Prés d’Eugénie Maison Guérard
05 58 05 06 07
Place de l’Impératrice
40320 Eugénie-les-Bains Landes
Texte : Nathalie Faure
Photographe : Patrice Martins de Barros et Jean-Michel Ducasse