Haut

Yvonne Hegoburu : « Je suis têtue ! »

Le Domaine de Souch sur les hauteurs de Laroin, 7 hectares de vignes en terrasses nichées sur un coin de paradis de 20 hectares de prairies et de forêts, est né en 1987 de la pugnacité d’une sexagénaire, Yvonne Hegoburu, originale et déterminée. Rencontre régalante.

Elle a planté ses premières vignes à 60 ans. Aujourd’hui ses Jurançon bios ou biodynamiques arrivent en tête dans les dégustations et sur les tables étoilées du monde entier, de Pierre Gagnaire en passant par Guy Savoy ou Christian Le Squer du Georges V. Tous guides confondus, les vins de Souch obtiennent presque pour chaque millésime les meilleures notes et les meilleurs commentaires de l’appellation Jurançon. 60 % Gros Manseng, 30 % Petit Manseng, 10 % Courbu pour son magnifique Jurançon sec. Et ses millésimes de moelleux font l’unanimité. Il faut dire que pour en arriver là, Yvonne Hegoburu a bravé plus que les côteaux de Jurançon. Déterminée et forte tête, ce petit bout de femme de 88 printemps est un ovni dans le monde viticole. Haute comme deux ceps, le cheveu blanchi, élégante dans un gilet de laine sur un pantalon droit et foulard de soie autour du cou, elle me prend dans ses bras comme si on se connaissait depuis toujours. Collé à ses basques, l’un de ses trois Patous des Pyrénées ne semble pas la perturber : « Ce sont mes compagnons de vie. Celui-là il fait dodo avec moi ! » Puis, tournant la tête vers les nuages libérant le soleil en haubans sur les Pyrénées enneigées, elle me lance « Regarde, tous les jours j’ai la chance d’avoir cette vue, c’est magnifique ». Après avoir cueilli quelques jonquilles qu’elle m’offre avec tendresse, elle m’entraîne à l’intérieur de sa jolie propriété, une authentique demeure béarnaise du XIXe siècle. « Quand j’ai vu cette bâtisse, j’ai dit c’est ma maison. » Pas un hasard si la dame s’est lancée dans la production de vins : dans ce même lieu, en 1776, Jean de Souch était le syndic des éleveurs de Treille.

« Mon vin n’est fait qu’avec du raisin ! »

À la mort de son mari René, rencontré à 15 ans sur les bancs du collège, journaliste engagé et longtemps rédacteur en chef de La République des Pyrénées, Yvonne a fait ce qu’il ne voulait pas qu’elle fasse : planter une vigne. Il faut dire qu’il faut être un peu « jobastre » pour s’attaquer à 20 hectares de prairies et de forêts ! Surtout lorsqu’on ne connaît rien au métier et que l’on est une femme. « Je suis audacieuse. Rien ne m’arrête ! » Avec son fils Jean-René et l’aide d’Abel, un maçon devenu chef de culture, elle se lance dans de gigantesques travaux. La pente des parcelles est vertigineuse : elle fait aménager des terrasses au bulldozer. Les arbres sont coupés et serviront aux 20 000 piquets pour palisser les 6,8 hectares de cépages locaux du Jur

ançon. « J’ai dû emprunter, raconte-t-elle, pour acheter le matériel de vinification, installer des chais et des bâtiments destinés à l’exploitation. Imagine la tête des banques quand à 60 ans, j’ai du demander des prêts en tant que jeune viticultrice ! J’étais regardée comme une extraterrestre, mais j’ai eu la chance d’être prise en charge par des gens qui m’ont accompagnée, qui ont cru en moi. » Dès son premier millésime, en 1990, elle obtient la médaille d’or au concours général à Paris, pour un Jurançon moelleux. En 1994, elle se convertit en bio, certifié Écocert, une pionnière dans la région :
« J’étais tombée sur un article du Gault&Millau. Un portrait de Paul et Maryse Barre, vignerons à Fronsac, qui s’étaient lancés dans la culture en biodynamie. Je les ai appelés, le lendemain j’étais chez eux ! » Désormais appliquée sur l’ensemble de ses parcelles, avec des décoctions réalisées au domaine et aspergées dans les vignes à la pompe à dos, cette agriculture ultra-écologique répond parfaitement à la philosophie d’Yvonne « Il y a de l’herbe dans mes rangées de vignes, la vie déborde, les raisins sont forts ! On est bien loin de la viticulture conventionnelle, trop chimique ! ».

“ Quand elle est aimée par des gens heureux, la vigne produit des vins heureux ! ”

Yvonne a toujours su s’entourer. À ses côtés, deux jeunes œnologues passionnés, Manu et Maxime, qui s’occupent de la vigne, du chai, de recevoir les clients : « Mes hommes à tout faire, plaisante-t-elle, le dernier qui part ferme les volets. Je ne fais même pas la cuisine… » Et puis il y a son fils, avocat à Paris, très impliqué dans le vignoble familial (désormais le gérant depuis 2 ans) et surtout son unique petite fille Marie à qui elle a donné le nom d’une cuvée remarquable, composée à 100 % de Petit Manseng sur les sols de Poudingues. Yvonne aime la vie avec passion et désinvolture et s’émerveille, tel un enfant : « L’ennui est la pire des choses. Maintenant je vis avec des souvenirs. » À la question « que vous a apporté ce métier, cette aventure », elle répond du tac au tac : « Un sentiment de vie accomplie. Et ajoute, en riant : je suis gâtée, adulée même !
Mais il ne faut pas me casser les pieds ! La seule chose qui me fait peur ce serait  de ne pas finir mes jours ici… »

I’m headstrong and I always get my own way!

She planted her first vines when she was 60. Today, her organic or biodynamic Jurançon wines are among the first to appear in wine-tasting circles and on the tables of Michelin-starred restaurants and hotels worldwide, from Pierre Gagnaire to Guy Savoy to Christian Le Squer, chef at the famous “Le cinq” restaurant of the Georges V hotel in Paris. Pick up any guide, and Yvonne’s wines inevitably gain the highest scores possible for almost every vintage and the best critiques for the Jurançon label. 60% Gros Manseng, 30% Petit Manseng, 10% Courbu for her sublime dry Jurançon. And her sweet white vintages sweep the table. It has to be said that to get where she is today, Yvonne had to move mountains considerably steeper than the gentle Jurançon hillsides. With her stubborn determination, this spritely woman of 88 summers is something of an oddity in the oenological world. No taller than some of her vine stocks, her hair turning white,and cutting an elegant figure in a woollen jacket over classy trousers and a silk scarf around her neck, she hugs me as if we had always known each other. One of her three Pyrenean mountain dogs follows her everywhere, but it doesn’t seem to bother her: “they’re my companions in life. This one even sleeps on my bed!” Then, lifting her head to the clouds, pierced by rays of sunlight that fall on the snow-capped Pyrenees, she says “Look, I’m lucky enough to have this view every day, it’s breath-taking.” After stooping to pick a few dandelions that she offers me with love, she invites me into her pretty home, an authentic 19th Century Bearnese building. “When I saw this house, I knew it had to be my home.” And it’s no real coincidence that she decided to start producing wines: in this very same place, in 1776, Jean de Souch was the winegrowers’ trade union representative.

Nothing but grapes in my wine!

She met her husband René at school when she was just 15. He was born in Bearn, a committed journalist, and Editor in chief of the regional La République des Pyrénées paper for many years. After his death, Yvonne did exactly what René had never wanted her to do: plant a vineyard. At the same time, you have to be slightly mad to tackle 20 hectares of forests and meadowland! Especially if you are a woman and don’t know the first thing about viticulture. “I’m bold and determined, and nothing can get in my way!” With her son Jean-René and the help of Abel, a builder turned vineyard manager, she embarked on a massive project. The slope of the land is extremely steep, and so she terraced the earth with a bulldozer. The trees were felled and used for the 20,000 stakes to fence the 6.8 hectares of local varieties of Jurançon vines. “I had to borrow,” she explains “to buy the vinification equipment, install the wine cellars and buildings for production. Imagine the look on the banker’s face when at 60 years old, I had to ask for a loan as a would-be winegrower! I’m sure everyone thought I was totally out of my mind, but I was lucky enough to be accompanied by people who supported me and believed in me.” Her very first vintage, in 1990, won her the gold medal in 1992 at the Paris agricultural show’s concours général, for a sweet white Jurançon. In 1994, she turned to organic wine-growing and obtained the Ecocert label, making herself a pioneer in the region: “I read an article in the Gault&Millau on a couple of wine-growers, Paul and Maryse Barre who live in Fronsac and had started biodynamic wine-growing. I phoned them to talk, and the next day, I was on their doorstep!” This ultraecological agriculture is now used on all the plots in her vineyard, using homemade decoctions applied to the vines using a backpack sprayer, methods that suit Yvonne’s philosophy down to the ground “There is grass between my rows of vines, the vineyards are thriving and the grapes are big and lush! It’s a far cry from conventional wine-growing practices, far too full of chemicals for my liking!”

If the vines are tended by happy people, they produce happy wines!

Yvonne has always known how to choose her friends. She works closely with two enthusiastic young oenologists, Manu and Maxime, who look after the vineyards, the wine cellars, and welcome the customers: “They’re my handymen,” she jokes, “the last one to leave closes the shutters. I don’t even do the cooking anymore…” Then there’s her son, a lawyer in Paris, who is also very involved in the family vineyard, and last but by no means least, her only granddaughter Marie, whose name she gave to an outstanding vintage, entirely Petit Manseng, the vines grown in puddingstone soils. Yvonne lives life to the full and has kept the ability to marvel at things like a child: “Boredom is the worst possible thing. I live with souvenirs now.” In answer to the question “What has doing this job, living this adventure brought you in life?” she replies without a second thought: “A fulfilled and happy life.” And then adds, laughing: “I’m spoilt, even idolized I think! But that doesn’t mean I can be pushed about! The only thing that scares me is the thought that I might not be able to end my days here…”.

by Catherine Nerson
Photos : Jean-Michel Ducasse