Garder le fil à l’esprit…
Depuis près de 150 ans, les tissus Moutet font perdurer la tradition du linge basque et du jacquard tout en proposant des interprétations innovantes. Immersion au sein d’une maison qui remet sans cesse l’ouvrage sur le métier pour se renouveler.
Il n’y a qu’un long couloir qui sépare le magasin dans l’usine, le bureau de création et les ateliers de production. Mais ce long couloir fait toute la différence. Chaque jour, Benjamin Moutet l’emprunte. Dans ce couloir muséal où le visiteur découvre l’histoire des tissus Moutet, il ressent tout à la fois, la richesse du patrimoine familial et la nécessité de l’orienter vers l’avenir.
Chez les Moutet, c’est Jean-Baptiste qui débute à la vente chez un marchand de tissu d’Orthez. Puis il achète, en 1874, la boutique dans laquelle il était employé, « Au coin de la rue », pour y diffuser notamment les fameuses toiles de mante en lin protégeant les bœufs des insectes et du soleil et ouvre, en 1913, son premier atelier à façon. Son fils Georges industrialise, à Orthez, le procédé. Revenu du front de l’Est après la Grande Guerre, il ramène les premiers métiers à tisser mécaniques en 1919 et installe une vingtaine d’ouvriers près de la gare. Coutils, mantes épaisses et linge de maison réputés pour leur résistance et la bonne tenue de leurs couleurs font la réputation de la maison. Un palier supplémentaire va être franchi en 1937, lors de l’Exposition internationale de Paris. Sous l’impulsion de Georges, les 3B − Béarn, Bigorre et Pays Basque − font pavillon commun. L’appellation « linge basque » − aujourd’hui protégée par une Indication Géographique stipulant que le produit doit être tissé dans les Pyrénées-Atlantiques − est jugée alors la plus pertinente.
Aux Basques reviendra la commercialisation, aux Béarnais la fabrication. Symbole d’une unité des territoires, le linge basque poursuit son aventure et écrit sa légende − sept rayures pour sept provinces. Ce n’est peut-être pas tout à fait vrai, mais les belles sagas ont besoin de contes autant que de vérité…
Le jacquard,
signature de la maison
Après la seconde guerre mondiale, Jacques Moutet accompagne les Trente Glorieuses et développe les compétences. Il devient le plus gros fabriquant de linge basque et lance le jacquard, dessin complexe et marque de fabrique qui le distinguera de la concurrence. Jusqu’à 250 personnes s’affairent alors dans le site de production flambant neuf qu’il fait construire. Son fils aîné Georges prend la suite. Mais la mondialisation n’épargne pas le site qui s’éteint en 1998. En 1999, Catherine, la mère de Benjamin, relance Tissage Moutet autour d’un pari : la création et le design. Elle s’entoure de signatures prestigieuses – Manuel Canovas, Hilton McConnico, Christian Tortu − ose la couleur. L’entreprise, reconnue Ateliers d’Art de France en 2000, est labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant en 2006. La crise de 2008 frappe à nouveau. Arrivé à l’été 2009 pour apporter son expertise sur la gestion et le juridique, Benjamin ne repart finalement jamais à Paris. Aujourd’hui à la tête de l’entreprise, il n’a de cesse de maintenir la qualité, le réseau local − teintures faites à Nay, relance de la filière du lin dans le Béarn. Avec sa Directrice artistique, Laura, il a créé l’Usine Ouverte, un concept novateur. « C’est une sorte de résidence d’artistes où l’on peut fabriquer, à la demande, un tissu personnalisé pour un projet. On partage notre savoir-faire et on l’enrichit de regards nouveaux. » raconte Laura. « Notre volonté est de maintenir l’outil industriel, avec une forte capacité d’adaptation et d’innovation » ajoute Benjamin.
Pour répondre à ce souhait, la maison a collaboré avec une signature du design contemporain, Samuel Accoceberry. Le designer basque qui dessine pour de grands éditeurs de mobilier et d’objets a réalisé là sa première collection de linge de table et d’office, baptisée Etxe. Hommage contemporain à la maison basque, elle en redessine les codes. « Le cœur de l’innovation part toujours d’entreprises comme celles-ci qui ont envie de pousser les outils et connaissent l’ADN du produit. Cela donne du sentiment, une envie, de l’histoire. Cette collection de linge de table est aussi un projet d’engagement humain. Et puis c’est assez singulier d’avoir toute la chaîne de fabrication sur un seul site. Cela a du sens, c’est vertueux, ça crée un lien, une transmission. » Un engagement partagé par Laura et Camille, designer textile qui réalise les cartes ou armures qui sont en quelque sorte les partitions des métiers à tisser.
Samuel Accoceberry, Maison Moutet : la rencontre du design et des savoir-faire
« Il faut faire entrer
ses intentions de rythme
dans un fil »
Samuel Accoceberry
« On est partis sur l’idée de travailler en même temps sur le vernaculaire et sur la modernité. Le thème de la maison basque, pareta/le mur, lerroa/la ligne, Harri/la pierre, Fatxada/la façade, atalarri/le linteau, s’est imposé. Au Pays Basque, la famille porte le nom de la maison et non l’inverse. J’ai voulu réinterpréter les couleurs et la composition graphique des façades. Je ne voulais surtout pas faire du folklorique. La croix basque est stylisée, les soleils se retrouvent sur les linteaux des maisons qui sont de vrais espaces d’expression, les lettres sont jetées au hasard. Je voulais reprendre la narration du linge basque mais décomposer les rayures, décaler les couleurs » raconte le designer. « On a traduit en savoir-faire cette intention de Samuel. Travailler avec un designer, c’est une prise de risque. Ça nous amène à questionner l’outil industriel, l’armure, la tension du fil » reprend Laura. Deux ans ont été nécessaires pour élaborer cette collection. « Avec Laura, on a partagé la volonté d’aller dans des champs périphériques plus sobres, initiés, pointus. Mais j’ai beaucoup appris de la complexité du textile ! Il y a des contraintes de montages, un nombre de combinaisons multiples. Il faut faire entrer ses intentions de rythme dans un fil » poursuit Samuel.
Au bout du couloir, Fanny, responsable des ateliers de production et de confection veille à la bonne réalisation des pièces. Arrivée un peu par hasard il y a onze ans dans l’entreprise, elle s’est investie dans ce métier-passion. Avec Camille, elle se remémore la commande spéciale du chef Michel Guérard pour les Prés d’Eugénie. Des nappes XXL tissées de motifs de palmeraie. Un de ces challenges techniques et esthétiques qui font avancer les savoir-faire. « Mon travail consiste à traduire le projet du client en langage textile, avec une expérimentation qui va de plus en plus loin dans la personnalisation. Notre bureau de création est aussi un labo de recherche ! » précise Camille. « Chaque projet est toujours un défi. L’Usine Ouverte casse les barrières entre la création et la production : dans le monde industriel, c’est assez rare. On est à 10 mètres les uns des autres, on peut faire des tests, réagir vite, ajuster du sur-mesure, régler la lisibilité d’un motif sur le métier » ajoute Fanny.
Innover, surprendre.
À l’aube de ses 150 ans, Tissage Moutet vient d’ouvrir une boutique en cœur de ville, à Orthez. Comme un clin d’œil au passé, elle reprend le logo et le bleu originel de la maison, expose et vend ses élégantes pièces, des nappes aux torchons en série limitée ou aux fameux « para tapas », ces mini-serviettes devenues des classiques
de la table.
Comme un clin d’œil au passé, le magasin fait lui aussi l’angle de deux rues. L’histoire n’est jamais loin, même si Benjamin continue d’avoir les yeux rivés vers le futur.
Tissage Moutet
www.tissage-moutet.com
05 59 69 14 33
85 rue du Souvenir Français
64300 Orthez
Visite guidée sur réservation et magasin dans l’usine
Boutique Maison Moutet
20 rue Aristide Briand
64300 Orthez
Textes : Nathalie Faure
Photos : Patrice Martins de Barros