Les secrets enneigés du Russe d’Artigarrède
Devinette : c’est la première pâtisserie que vous goûtez lorsque vous arrivez dans le Béarn. Elle est à base d’amandes. Elle a un nom slave. Depuis 90 ans, le Russe d’Artigarrède, plus qu’un produit est devenu une marque. Portrait d’une sucess story.
Le péché de gourmandise ne doit pas être trop condamné dans la ville aux trois clochers. À Oloron-Sainte-Marie, ceux qui fréquentent la messe dominicale ou optent pour un petit café-journal sur la Place de la Cathédrale passent à coup sûr devant le pâtissier le plus célèbre de la ville, Artigarrède. Sa boutique à l’ancienne jouxte son laboratoire de fabrication. C’est ici que se concoctent Russe et autres douceurs à la sauce béarnaise. À l’intérieur de cet antre du sucré, ça exhale les gâteaux blondis par le four et le vrai beurre. L’ambiance est concentrée. Il faut dire que l’aprèsmidi est consacrée au montage du Russe, la pâtisserie star de la maison. Sa crème mousseuse couleur noisette immergée dans un grand cul de poule en inox nargue nos papilles. Elle sera étalée quelques minutes plus tard sur le biscuit, selon une gestuelle très chorégraphiée qui mêle la main et le couteau. Le Russe est l’un des rares gâteaux qui ne nécessite pas de moule ! Le biscuit est posé sur une simple feuille de papier de cuisson, cuit, puis retourné, brossé et légèrement humidifié pour que le papier se décolle. On repartira en sachant enfin comment démouler nos tartes à la maison ! Sur la table centrale, les pâtissiers écrivent délicatement à la crème pralinée le mot magique, puis ce sera le fameux saupoudrage en sucre glace. Une résurgence très XIXe siècle d’un gâteau qui racontait les plaines enneigées de Russie et la Crimée, d’où étaient importées les amandes, à la base du biscuit. Un clin d’oeil aujourd’hui aux sommets pyrénéens. Plus loin dans le labo, des gâteaux basques sortent tout juste du four. Eux aussi ont leur place dans cette maison qui assume une tradition pâtissière qui respire les souvenirs d’enfance et les repas de fête du Sud-Ouest.
Un secret conservé avec ferveur
Ce ballet occupe vingt-neuf employés, dont quinze se consacrent au fameux Russe. Un gâteau que le Béarnais Adrien Artigarrède, l’arrièregrand- père de Michel et de Pierre, les deux chefs d’orchestre du labo, remet au goût du jour en 1923, dans sa pâtisserie du quartier Sainte-Marie d’Oloron. Il imagine un petit plus qui entretient, encore aujourd’hui, le mystère de sa légèreté. Un secret qui tient dans le fameux biscuit et concerne à la fois les ingrédients et la manipulation. Nous n’en saurons pas plus et nous ne pourrons pas non plus photographier l’endroit secret où se fabrique le dit biscuit, quelque part aux alentours. La recette et le secret se transmettent de génération en génération. Toujours des amandes et des noisettes achetées aujourd’hui en Provence, du beurre, des oeufs et du sucre. Cette recette, Jean-Paul Bassignana, le petit- fils d’Adrien, l’a susurrée à l’oreille de ses deux fils, Michel et Pierre. S’il a pris officiellement sa retraite, il n’hésite pas à remettre la main à la pâte… et dans la pâte au moment des fêtes. Quant à la maman, Nadine, elle s’occupe de la vente avec sa belle-fille Karen, gère et chapeaute tout ce petit monde et s’attache surtout à maintenir l’esprit des lieux. C’est elle qui est à l’origine des fameuses boîtes bleu et blanc qui transportent le gâteau depuis les années 90. « On a gardé les trois tailles originelles du gâteau, le visuel des trois clochers et des sommets pyrénéens qui figuraient déjà sur les emballages d’origine. Quant au choix du bleu, c’était ma couleur fétiche tout simplement ! » Rien ne semble vouloir perturber la tradition. Ici et ailleurs, on continue de ne pas dire le Russe, mais le Russe d’Artigarrède. Un succès entretenu par des ambassadeurs de choix, à l’image d’Yves Camdeborde ou d’Hélène Darroze qui ont rapporté à Paris et à Londres le goût de leur Sud-Ouest. Un succès qui a permis d’ouvrir des boutiques à Pau, Tarbes et Saint-Jean-de-Luz.
Le terroir revisité
« On assume totalement la tradition, le terroir, notre côté artisanal et patrimonial » ajoute Nadine. Cela n’a pas bloqué les héritiers qui tous ont ajouté leurs créations persos à la maison. Pour Jean- Paul, ce seront les textures de mousses dans les années 90 ; pour Michel, le Macarena, un dessert à base de framboises qui sent bon le respect du produit frais et des saisons. Cela n’empêche pas non plus la pâtisserie d’intégrer à son menu des desserts oubliés, comme la Rousquille, une pâte à choux citronnée typique des Pyrénées qui vampe la vitrine au côté des babas et des millefeuilles généreux. « C’est assez amusant, les clients du coin nous demandent souvent la composition de nos gâteaux, ils écoutent avec attention, mais la conversation se clôt souvent par : «Alors, mettez-moi un Russe, ça me rappellera mon enfance» ! » ironise Nadine. En économie, ça s’appelle une valeur refuge. En termes de gourmandise, un péché bien assumé.
BLOSSOM #01
Visite privée
Les secrets enneigés du Russe d’Artigarrède
Rédaction : Nathalie FAURE
Photographe : Jean-Michel DUCASSE
ARTIGARREDE
Oloron-Sainte-Marie
05 59 39 01 38
1 place de la Cathédrale
64400 Oloron-Sainte-Marie
Pau
05 59 27 47 40
3 rue Gassion
64000 Pau
Tarbes
05 62 56 96 55
24 place Verdun
65000 Tarbes
Saint-Jean-de-Luz
05 59 26 38 02
94 rue Gambetta
64500 Saint-Jean-de-Luz
64000 PAU
05 59 27 47 40
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