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Didier Gaborit, le chocolatier qui secoue le cacaoyer

La « patte Rouget » : un mélange d’intuition, d’observation aiguë, de connaissance et de respect, associé à l’amour du cheval. Le Domaine de Sers à Pau accueille une pépite. L’une des principales écuries françaises de plat y entraîne plus de 200 pur-sang anglais destinés aux courses hippiques. À la tête de cette fabrique de champions, Jean-Claude Rouget est un entraîneur passionné et exigeant qui veille au grain. Visite exclusive dans les coulisses d’une écurie prestigieuse.

Au premier abord, l’homme n’est pas très loquace. La cinquantaine un peu timide, il semble caché derrière ses lunettes et sa veste noire, boutonnée jusqu’au cou. Sur le côté, au niveau du coeur, apparaît, dans une typographie simple écrite à la main, son prénom et son nom, le logo de sa toute nouvelle maison. Il me reçoit dans son laboratoire, sa femme Nelly à ses côtés, toute en douceur, avenante et décontractée, papillons tatoués sur l’avant-bras. Là, trône sur une grande table en marbre une immense tablette posée comme un miroir. « Cette ganache se fait en plusieurs jours, elle est coulée sur la table et il faut attendre qu’elle se cristallise avant de la couper au cutter » m’explique t-il. « Il est en train de mettre au point un chocolat à la bière pour le Biarritz Beer Festival ». Nelly me tend la nouvelle création. L’amertume est présente mais toute en finesse laissant la part belle au chocolat. Didier Gaborit est comme ça. Toujours là où on ne l’attend pas.

Dans un coin, des saucisses longues et fines sont alignées. « Ce sont mes ‘Choconou’, conçus dans un praliné bien de chez nous ! Un clin d’oeil au Cochonou », lance-t-il amusé. Je goûte. C’est juste divin. Le praliné offre une sensation de plaisir pur et de velouté. « Pour mes différents bonbons au chocolat, je ne transforme pas la fève, mais je travaille avec les meilleurs couverturiers. Ensuite, en fonction de chaque produit, ce n’est que du feeling, comme une histoire très personnelle qui se noue à chaque fois ». Nelly semble approuver. Je sens un couple soudé, complémentaire et fier d’avoir passé le pas. Ce n’est pas si facile de voler de ses propres ailes. Monter deux boutiques simultanément, l’une en plein coeur du vieux Bayonne, et l’autre à Biarritz, aux Docks de la Négresse, plus un laboratoire dans le quartier Saint-Esprit, il fallait oser. Mais le changement, les décisions, toujours à deux, ils connaissent.

Originaires de Cholet, dans le Maine-et-Loire, ils ont débarqué à Bayonne par nécessité. Nelly était comptable, Didier, pâtissier. « J’y suis entré par hasard. J’ai fait un stage de 3e en pâtisserie qui s’est soldé par un CAP puis un brevet de maîtrise en pâtisserie. » Doué, il fait ses classes dans plusieurs établissements en Suisse, à Angers, Vesoul, puis part au Luxembourg chez Oberweis. À cette époque, Nelly était enceinte. Des jumeaux. Elle décide de rejoindre son époux, pour les derniers mois de grossesse. Mais tout ne se passe pas comme prévu. Complication, hôpital en urgence, soins intensifs… Seul Youri survivra mais ne sera pas un bébé comme un autre… Voulant se raprocher de leurs familles, Didier se pose à Tours où il travaille pour la maison Ménard. « La Chocolatière était une institution, une affaire de famille à la réputation nationale. C’était difficile, mes journées étaient longues et je n’étais pas disponible pour Youri. Tours ne possédant pas de structure adaptée au handicap de notre fils, nous avons commencé à chercher ailleurs. Et ce fut ici, car il existait des centres qui pouvaient accueillir notre enfant. »

Cap sur la côte basque

Il apprend que la Maison Henriet, établie depuis 1946 à Biarritz, recherche un chocolatier. « J’étais pâtissier mais lorsque j’ai appelé Serge Couzigou, je lui ai dit que j’étais prêt à apprendre. » Et Didier a compris qu’être chocolatier est un métier à part entière.

« C’est d’une rigueur absolue, il faut ressentir la matière, l’aimer, presque lui parler. Monsieur Couzigou m’a fait découvrir le monde du chocolat, toutes les petites astuces, les nuances, leurs goûts très différents, des chocolats millésimés comme de grands crus… Il y avait là une magie, une porte qui ouvre d’autres portes. J’y suis resté 14 ans. »

Serge Couzigou a bien senti que ce petit jeune avait du talent. Au bout de quatre années, il le nomme responsable et Didier participe très vite à de nombreux concours. « Le côté artistique de ce métier fut une découverte pour moi. À mon premier concours, j’ai réalisé un saxo, grandeur nature. » Il enchaîne alors les compétitions et attaque au niveau national et international. « J’ai participé deux fois au Grand prix International de la chocolaterie, et je suis arrivé premier à la seconde

participation. En 1996, j’ai même été premier en dégustation et second en présentation de la pièce. Tous ces concours m’ont appris à grandir ». Voilà son paradoxe, cet incroyable mélange d’assurance et d’humilité qui déborde à chaque coin de phrase. Pas si timide en fait. Dès qu’il parle de son métier, Didier a des étoiles plein les yeux et espère qu’un jour, il sera aussi brillant que son mentor Pascal Brunstein, chocolatier créateur inspiré, et aussi créatif que Patrick Roger, chocolatier artiste sculpteur, à qui il voue une admiration presque démesurée.

De la maison Adam
à aujourd’hui...

Didier approche la quarantaine et se dit qu’il serait peut-être temps de voir autre chose. « J’avais envie de changer. » Par hasard, il apprend que la Maison Adam, fondée en 1660, et réputée pour ses macarons, recherche un chocolatier. Il rejoint l’équipe et crée un laboratoire dédié au chocolat où il transmet aux plus jeunes son savoir en les formant et les faisant participer à toutes les étapes de la fabrication. Il y restera onze ans. Et puis, un dîner, une rencontre avec un autre pâtissier, une envie de faire quelque chose ensemble. Et la décision finale, seul. Enfin, pas tout à fait, avec Nelly, à ses côtés, pour la gestion, le décor des vitrines, l’accueil des clients, elle-même secondée par ses deux charmantes vendeuses Lætitia et Priscila. Et le soutien de ses enfants, Youri, l’aîné, sa fille Typhaine, 25 ans, « qui va ouvrir d’ici quelques jours son salon de thé-pâtisserie- snacking (L’indécise) », et son cadet, Malvin, 23 ans, ébéniste designer. « C’est lui qui a dessiné et réalisé le mobilier en chêne clair de nos deux boutiques », ajoute fièrement la fibre maternelle. Mais dans son laboratoire indépendant où il passe la majeure partie de ses journées à penser, créer, où les idées fusent et vont finir par se réaliser, il fait tout, tout seul et avoue même « avoir la tête dedans 24 heures sur 24 ». Un labo qu’il a voulu dans le quartier Saint-Esprit où tout a commencé, en 1609 exactement.

« Pour mes différents bonbons au chocolat, je ne transforme pas la fève, mais je travaille avec les meilleurs couverturiers. Ensuite, en fonction de chaque produit, ce n’est que du feeling, comme une histoire très personnelle qui se noue à chaque fois. »

Car à cette époque, le breuvage amer et épicé était la spécialité des juifs portugais chassés par l’Inquisition et réfugiés dans le quartier Saint-Esprit. Un labo où un jour, il aura une multitude d’employés à qui il transmettra sa passion du chocolat, sur l’infini des possibles qu’il peut offrir, sur les secrets de la fabrication de ses fameux bonbons composés de fèves de cacao, sucre, glucose, sésame, saté, framboise, passion, vanille en gousse, poivre de Sichuan, poivre de Timut, coriandre, amande, noisette, noix, noix de cajou, citron confit, feuilletine, pistache, piment d’Espelette… Tous réalisés de façon artisanale et sans conservateur, ce qui implique qu’il faut les déguster dans les quinze jours suivant l’achat. Un labo où il leur montrera que le chocolat est une pâte modelable à l’infini, relevant des arts plastiques, une véritable matière première qui permet de recréer le monde à sa manière. Et il suffit de voir les vitrines des deux boutiques pour trouver chez le chocolatier Didier Gaborit, un artiste, peut-être pas encore conscient d’avoir un peu secoué le cacaoyer.

Didier Gaborit en quelques dates

8 décembre 1964, naissance de Didier à Cholet.

1987 Brevet de maîtrise en pâtisserie.

1988 Pâtissier au Luxembourg Maison Oberweis.

1989 Pâtissier à La Chocolatière, Maison Ménard.

1990 Arrivée au Pays Basque. Chocolatier chez Maison Henriet.

1996 Lauréat du grand prix international de la chocolaterie.

2004 Chef chocolatier chez Maison Adam.

Décembre 2015, création de la première chocolaterie-pralinerie du Pays Basque.

Depuis 8 ans, il est régulièrement sollicité pour faire partie de jury et notamment celui du Concours du meilleur ouvrier de France.

BLOSSOM #03
Visite privée
Le chocolatier qui secoue le cacaoyer

Rédaction : Catherine NERSON
Photographe : Jean-Michel DUCASSE

DIDIER GABORIT
17 rue Poissonnerie 64100 Bayonne
05 59 63 89 30
Horaires
Lundi 15h – 19h15
Du mardi au samedi 10h – 19h15

Docks de la Négresse
44 rue Luis Mariano
64200 Biarritz
05 59 43 11 34
Du mardi au samedi 10h – 13h / 15h – 19h30
Dimanche 10h – 13h
www.didiergaborit.com