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Courrèges reprend le fil

Trois ans après le rachat de la maison Courrèges par le duo de publicitaires Jacques Bungert et Frédéric Torloting, l’atelier emblématique de Pau, tel le phénix, renaît peu à peu de ses cendres. Avec la volonté de préserver et valoriser le savoir-faire de la marque de prêt-à-porter de luxe « made in… Pau ». Un savoir-faire qui ne pourrait perdurer sans ses aristocrates de l’artisanat. Autrement dit ses « petites mains ». Immersion. 

Difficile d’imaginer que dans l’usine modèle désirée par l’architecte-couturier béarnais André Courrèges, 260 ouvrières confectionnaient, dès 1972, 4000 pièces par semaine, vendues dans plus d’une centaine de boutiques franchisées. Fermée dans les années 80 puis rouverte partiellement par Coqueline Courrèges, en 1998 avec quelques employées, l’usine de Pau reflète les joies et les peines de la maison qui fut un des symboles de la révolution vestimentaire des 60’s. Pourtant, lorsqu’on pénètre aujourd’hui dans le grand bâtiment en béton immaculé et longiligne, l’empreinte du couturier, décédé en janvier dernier, est omniprésente. Tout est blanc et baigné de lumière naturelle avec un toit de vagues mi-transparent et des parois vitrées donnant sur la verdure tel que l’avait imaginé l’ancien ingénieur des Ponts et Chaussée. Grand admirateur de Le Corbusier, il voulait immerger ses ouvrières « dans un univers proche de son concept espace, nature, temps ». Le blanc est à Courrèges ce que le bleu est à Klein. Intemporel et résolument moderne. « À l’instar de Le Corbusier, qui a fait pénétrer la lumière dans les maisons qu’il concevait, j’ai voulu faire entrer la lumière dans mes vêtements », disait-il, faisant allusion à son usage immodéré de ce champ chromatique resplendissant pour toutes ses créations, même hivernales − ce qui était inconcevable à l’époque.

Un enjeu de lien
transgénérationnel

Un blanc que l’on retrouve partout, des patrons accrochés aux cintres, comme des sculptures, aux blouses des ouvrières « doigts de fée » dans un open space clinique.

« À partir d’un croquis, tout l’atelier s’organise avec la précision chirurgicale d’un bloc opératoire », souligne Sophie Haristouy, responsable du site de Pau depuis deux ans. Cette ancienne directrice générale adjointe au Pôle services à la population de la mairie de Pau, qui a fait ses classes dans la protection de l’enfance, semble ici comme un poisson dans l’eau. « J’ai fait de la gestion de relation humaine, de la formation dans le domaine éducatif… c’était logique que j’atterrisse ici ! Faire progresser les gens, c’est motivant. » Ce petit bout de femme, au regard bleu intense, a sans doute plu aux deux nouveaux propriétaires de la marque à qui Coqueline et André Courrèges ont confié les clefs de la maison et qui souhaitaient que le site de Pau devienne la plateforme de redéveloppement mondial de la marque. « Ma grand-mère était couturière, mais ne venant pas moi-même du milieu de la couture, j’ai d’abord essayé de comprendre le travail individuel et collectif des employées de l’atelier, leur vécu, comment elles avaient été formées, cette culture de l’excellence… Il a fallu que je gagne leur confiance. » « Il y avait un enjeu de lien transgénérationnel et c’est cela qui m’a plu ! La transmission est passée par la création d’un comité qualité des anciennes de la maison. » Des anciennes, justement, il n’en reste plus qu’une : Catherine, qui affiche fièrement 25 ans de maison. « J’avais 18 ans lorsque j’ai commencé. Il y avait 200 personnes. C’était grandiose ! Je rentrais dans une grande boîte. J’ai fait mes classes à la coupe, puis l’arrivée de l’informatique m’a amenée au travail d’agent de production. Je m’occupe des fiches techniques via le système Lectra, une plateforme qui permet d’optimiser l’intégralité du processus de développement des collections, depuis la création jusqu’à la fabrication, et de rationaliser la chaîne logistique. » Pour elle, la reprise de la marque par une nouvelle génération de couturières ne peut être que salutaire : « Les nouvelles recrues sont en majorité des techniciennes aguerries. Elles connaissent parfaitement le métier ».

“ Il y avait un enjeu de lien transgénérationnel et c’est cela qui m’a plu ! La transmission est passée par la création d’un comité qualité des anciennes de la maison.  »
“ Ce sont des pépites polyvalentes. Toutes passionnées par leur métier. L’atelier de Pau est primordial dans les créations car c’est ici que se préparent tous les prototypes, les petites séries et les commandes spéciales. 
Sophie Haristouy, responsable du site de Pau

Un langage spécifique
à la maison

Dans une ambiance décontractée et studieuse, chaque employée est à son ouvrage. Coupeuses, presseuses, monteuses, toutes hyper concentrées, un sourire sur leurs lèvres. Fières d’avoir été choisies. Comme le souligne Sophie Haristouy, « ce sont des pépites polyvalentes. Toutes passionnées par leur métier. L’atelier de Pau est primordial dans les créations car c’est ici que se préparent tous les prototypes, les petites séries et les commandes spéciales. » Avant d’être embauchée il y a trois ans, Céline, la quarantaine, était à la tête de plusieurs pressings dans la région. « J’exerce ce métier depuis l’âge de 17 ans, mais il a fallu que j’apprenne les méthodes maison. J’ai été formée pendant 4 mois. Lorsque les bacs arrivent de la coupe, je m’occupe des thermocollants, je vérifie aussi les biais, les droits-fils, les ourlets, si le tissu est taché… J’interviens tout le temps jusqu’à ce que le prototype soit parfait ! ». Sonia est patronnière. Elle a postulé spontanément il y a deux ans et demi. « J’ai un BEP mode et un BTS Matériau souple. On m’a demandé de réaliser entièrement une robe Diamant et j’ai été prise ! Je fais les patronages sur ces toiles écrues. C’est un travail minutieux et précis. Il faut beaucoup de patience. » Monique et Henriette sont soeurs. Elles ont été recrutées en tant que monteuses de prototypes il y a plus de trois ans pour la première et un peu plus d’un an pour la seconde. Toutes deux ont connu le travail à la chaine et la production en série à grande échelle.

« Il est clair qu’ici, ça n’a rien à voir avec l’esprit ‘usine’. Nous sommes un bureau d’études. Il faut 3 jours pour réaliser le prototype d’une veste, qui est monté pour la pr emière fois à l’atelier. Et encore les délais sont cour ts, car les matières employées, les coupes, sont très difficiles à monter. On est toujours en train de réfléchir à des astuces… même la nuit ! ».

Ce souci de perfection et d’apprendre à être autonome, on le retrouve aussi chez les plus jeunes recrues telle que Julie et Camille, la vingtaine, occupées à la coupe des tissus. « Le travail est très minutieux, on reçoit le patron sur des calques, on fait des photocopies puis on doit placer tous les morceaux, étudier les tissus, les thermocollants. Ce qui est fabuleux, c’est qu’ici, on nous fait confiance. » Ainsi l’héritage Courrèges, malgré des périodes de mises en sommeil, n’a rien perdu de son ADN. Un ADN qui pourrait bien être transmis dans les années à venir par la création d’une filière d’excellence, « idéalement une école sans murs », souligne Sophie Haristouy. Nul doute qu’André, qui n’a eu de cesse d’avancer, d’innover pour toujours devancer, aurait validé.

Atelier Courrèges Pau en chiffres

15 employées dont 8 monteuses de prototypes
Entre 15 et 20 pièces réalisées par semaine en période de collections
40 pièces peuvent être produites par semaine pour une série
8000 mètres de tissus par collection

BLOSSOM #03 NOVEMBRE 2016
Visite privée
Courrèges reprend le fil

Rédaction : Catherine NERSON
Photos : Jean-Michel DUCASSE

ATELIER COURRÈGES
227 avenue Alfred Nobel 64000 PAU
05 59 84 84 56
sharistouy@courreges.com
www.courreges.com