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Carriat, à fleur de peaux

Au coeur d’Espelette, la Tannerie Rémy Carriat perpétue un savoir-faire reconnu par de grandes marques de maroquinerie, sellerie, chaussure ou ameublement et des créateurs soucieux de donner vie et forme à des peaux de grande qualité.

C’est une histoire de famille. Et les histoires de famille sont souvent des histoires de recettes. Mélange subtil d’énergie et de savoir-faire saupoudré d’une pincée de chance, cette recette-là date de 1927. Tout commence avec les grands-parents. Tandis que l’aîné de la famille reprend la chocolaterie d’Espelette, l’autre fils s’oriente vers la tannerie, tout simplement parce qu’une branche de la famille élève des bovins au Mexique et que la matière première est toute trouvée. Le grand-père fait l’école de tannerie de Lyon devenue l’ITECH, soit l’Institut textile et chimique de Lyon, une école d’ingénierie unique en France.
La fine fleur de la chaussure – alors très active sur Hasparren, tout près d’Espelette – lui demande des cuirs souples et résistants. Dans les années 60, le père reprend le flambeau et ouvre le champ de compétences de l’entreprise. Il prend le parti de moderniser la tannerie et d’acheter de grandes peaux (taurillons) pour l’ameublement alors qu’avant la tannerie travaillait des peaux de veaux. Les français s’équipent en masse, le canapé en cuir respire le plein emploi et l’envie d’intérieurs modernes. Les années 80 et l’arrivée des mastodontes de l’ameublement poussent la tannerie à se réinventer. L’entreprise se fixe de nouveaux objectifs et se spécialise sur le fameux cuir de taurillon, solide, dense et qualitatif.

« Je suis mère de famille ; la protection de notre site exceptionnel, ici au Pays Basque, s’inscrit forcément au coeur de ma réflexion de chef d’entreprise. »

Lorsque Marie Hiriart-Carriat arrive en 1992, elle n’est pas encore sûre de sa vocation mais son père pressent qu’elle peut ouvrir la société à l’international. « De formation commerciale, j’ai naturellement opéré le virage sur l’export et sur les accessoires » raconte-t-elle. Elle anticipe en effet l’essor incroyable de l’accessoire, que ce soit dans les grandes maisons françaises, les groupes du luxe ou chez des créateurs indépendants. Cavalière passionnée, elle s’attache aussi à développer le marché de la sellerie et se fait une réputation dans ce domaine très technique. L’entreprise fait face à un changement de génération dans ses équipes, forme et embauche. Un nouvel atelier voit le jour en 2004 pour mieux s’adapter au rythme effréné des collections d’accessoires de mode et tenir compte des préoccupations environnementales. « Je suis mère de famille ; la protection de notre site exceptionnel, ici au Pays Basque, s’inscrit forcément au coeur de ma réflexion de chef d’entreprise » ajoute Marie. La société dispose ainsi d’une station d’épuration intégrée et soigne la traçabilité des peaux tannées « wet blue » qui arrivent dans ses ateliers.

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David Bailly
responsable de production

Cet ingénieur formé à l’ITECH de Lyon est tombé dans la marmite de la chimie très tôt et entré il y a 19 ans chez Carriat. « Mon travail consiste à coordonner les ateliers, de la sélection des peaux au tri en fonction de l’usage, jusqu’à l’envoi final. On cherche toujours la peau parfaite pour des fabrications d’exception, mais surtout on s’attèle à valoriser un produit pas forcément noble au départ, mais que l’on rend beau grâce au travail et au savoir-faire. Cette concrétisation est très motivante. Quand je vois dans une vitrine un sac de créateur issu d’une peau ouvragée chez nous, je mesure tout le travail accompli. Et on conserve un regard aiguisé sur les peaux que la machine ne pourra pas remplacer. »

Fabien Etcheverry
responsable finissage

Après son bac, ce basque rentre un peu par hasard en intérim, puis se forme… peau à peau. Son service compte 25 personnes. « Le finissage donne l’aspect final que vous verrez sur votre canapé ou votre sac. Couleurs, toucher, brillance, la seule étape de finition peut nécessiter 12 produits. Si le management des hommes est très prenant, je n’oublie jamais le terrain. Au départ, j’étais coloriste, alors j’ai gardé la main concrètement pour certains clients dont je connais les exigences. J’aime bien aller visiter des ateliers de maroquinerie et leur raconter comment nous procédons. La transmission des savoir-faire est un sujet qui me touche particulièrement. La patte Carriat c’est un cuir souple, avec énormément de travail sur le toucher. »

Laurent Muzica
responsable du corroyage

Essorage, cadrage humide, séchage air libre, au four ou étuvage, cadrage à sec, foulonnage : cette phase technique, il la maîtrise depuis vingt ans. « J’ai d’abord été embauché en intérim sur ce qu’on appelle le cadre sec, une phase d’étirage des peaux qui permet de visualiser les éventuels petits défauts de la peau à mi-parcours des traitements. Je ne connaissais pas du tout l’univers de la tannerie, mais on m’a proposé de me former et d’évoluer. Je suis resté ! J’aime l’aspect très technique du réglage des machines et le côté familial de l’entreprise. Il faut savoir travailler sur différents postes et fluidifier la chaîne de production. Les clients peuvent avoir des exigences très précises, un cuir pleine fleur juste huilé, un nubuck avec tel aspect, etc. Je suis entre la technique pure et la finition et cela me plaît. »

Laurent Montegut
responsable Recherche &Développement

Son arrivée il y a trois ans coïncide avec la volonté de centraliser la recherche et de travailler de manière transversale, de la teinture au finissage. « Mon métier consiste à trouver de nouvelles recettes et des manières de faire qui puissent s’adapter au monde industriel. Travailler le cuir consiste à donner de la noblesse à une peau en améliorant sa qualité. Il faut répondre aux exigences du client et lui concocter une recette sur-mesure. Aujourd’hui, les demandes s’orientent vers plus d’élasticité, de nouvelles couleurs ou au contraire un aspect le plus naturel possible. Ce qui me plaît, c’est de voir toutes les déclinaisons possibles de fabrication. On a même fourni un cuir d’exception pour gainer un ascenseur que le client voulait assorti à l’intérieur de sa voiture ! »

Alain Guilçou
responsable de l’atelier teinture

Entré dans l’entreprise en 1996 en intérim après des études de mécanique, il intègre finalement l’atelier teinture, se forme en alternance à Lyon et gère aujourd’hui le service. « Le cuir est une matière vivante. Je travaille un peu comme un oenologue, sauf que moi je n’ai pas des parfums mais des couleurs. Les formules de base sont très anciennes mais on est toujours dans la recherche d’améliorations. Sur la sellerie par exemple, on peut ajouter un toucher grip avec certains produits pour le confort du cavalier. Cela veut dire que la teinture a une fonction esthétique mais aussi technique, ce que peu de gens savent. Depuis toujours, l’entreprise développe son expertise sur les finitions anilines, très naturelles. Cela requiert des matières premières d’exception et une grande maîtrise des techniques de fabrication car on ne peut rien masquer. »

Entre industrie
et artisanat d’art

« Nous sommes à mi-chemin entre l’industrie et l’artisanat d’art » poursuit Marie. Avec 72 salariés, l’entreprise a tout d’une grande mais continue de cultiver un esprit maison, fait du partage des savoirs et de l’observation. « Beaucoup d’étapes de notre travail se font à l’oeil » renchérit-elle. Le bel exemple est celui de Cathy, au finissage. Après 42 ans de maison, et avant de partir à la retraite, elle a eu à coeur de transmettre à deux jeunes les gestes du « mouchetage », une étape visant à sublimer le grain des peaux que la maison Carriat est la dernière tannerie française à effectuer manuellement. Comme ses équipes, Marie s’émerveille toujours de voir ses peaux transformées en maroquinerie de luxe ou en selles d’exception. « Il y a une fierté à voir ce que les créatifs conçoivent et réalisent avec nos peaux. Aujourd’hui, développer ce savoir-faire français à l’export fait partie de notre ADN. » Des États-Unis à la Nouvelle-Zélande, de la Chine à l’Australie, des sacs, des fauteuils, des selles ou des hôtels capitonnés de cuir par des décorateurs conquis portent la trace du savoir-faire basque défendu par Marie. Comme elle, ses deux enfants Guillaume et Maïa, aujourd’hui étudiants, ont grandi dans l’entreprise et découpé de petits morceaux de cuir les mercredis après-midi pluvieux. La relève est là. « La famille n’a jamais bluffé. On sait bien vendre ce qu’on sait bien faire » conclut Marie, avec le sourire de celle qui aura elle aussi, un jour, envie de transmettre son livre de recettes.

BLOSSOM #07 
Visite privée
à fleur de peaux

Rédaction : Nathalie FAURE
Photographe : Jean-Michel DUCASSE

TANNERIE CARRIAT
225 Itsasuko Errebidea 64250 ESPELETTE
05 59 93 90 88
carriat@carriat.com
www.carriat.com