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Révélateur de mouvements

Biarritz, Gare du Midi. C’est dans ce bâtiment de style art-déco, conçu par l’architecte Adolphe Dervaux au début du XXe siècle pour le compte de la Compagnie des Chemins de Fer du Midi, qu’en 1998, naissait le Centre Chorégraphique National de Biarritz, autrement dit le Ballet Biarritz, confié à Thierry Malandain. Depuis presque 30 ans, le chorégraphe a modelé plus de 80 ballets en embarquant dans son Orient-Express imaginaire ses amis de toujours. Blossom s’est accroché aux wagons. Voyage émotionnel et fraternel.

« L’académisme m’oriente
mais il faut aussi en briser le carcan. »

Il a une petite voix Thierry Malandain. Une petite voix toute douce. Parfois il cherche ses mots, bégaie un peu. « J’ai un manque de confiance en moi » avoue-t-il. Derrière de sobres lunettes de vue rectangulaires, il cache une pudique timidité, parle franc, sans jouer. Dans son pull tout simple bleu marine, la main souvent devant la bouche comme pour s’excuser, il est touchant. à la fois insaisissable et chaleureux. Humble et généreux. En souffrance aussi. Pourtant l’artiste est à la tête d’une des compagnies internationales les plus en vues en Europe. Une véritable prouesse pour cet électron libre qui était loin d’imaginer qu’un jour il dirigerait l’un des dix-neuf centres chorégraphiques nationaux existant en France. Le Malandain Ballet Biarritz est constitué de vingt-deux danseurs permanents formés à la technique classique et néo-classique. Un style cher à Thierry Malandain : « Depuis les années 1980, on a défini la modernité et le bon goût par la danse contemporaine, un point c’est tout. Je suis un danseur classique et je n’ai jamais renié mes sources. Ma formation, je la dois à des maîtres aussi sûrs que René Bon, Monique Le Dily, Daniel Franck, Raymond Franchetti et Gilbert Mayer, après mes premiers pas à Vernon chez Nicole Sohm. L’académisme m’oriente mais il faut aussi en briser le carcan. » Casser les codes sans en oublier la substantifique moelle de « la belle danse », c’est ce qu’il s’évertue à montrer depuis ses premiers pas de chorégraphe dont les débuts sont marqués par une série de contretemps.

« Je suis chorégraphe par hasard, je voulais être décorateur et faire des costumes. »

À neuf ans, le petit Malandain trouve chaussons à ses pieds en regardant des images de danse sur la première chaîne de l’ORTF. Un coup de foudre. « J’étais chez mes grands-parents. À cette époque j’ai pensé qu’on pouvait apprendre la danse en regardant la télé. J’ai demandé à mes parents qui n’avaient pas de petit écran d’en acheter un mais les événements de 68 avaient pris le pas sur les programmes de danse ! »  Ses parents « qui, comme beaucoup, n’y connaissaient rien à la danse et qui pensaient qu’un jour, ça passerait » finissent par inscrire leur aîné, issu d’une fratrie de six enfants, dans la seule école de danse de leur village. Une vocation était née. Mais trop tard pour prétendre entrer ensuite à l’école de danse de l’Opéra ou au conservatoire de Paris. À 17 ans, il est pourtant embauché au ballet de l’Opéra de Paris pour quatre mois, grâce à Violette Verdy (1) qui le remarque lors d’un concours de danse à Lausanne, « avant d’être mis par mes parents dans un train pour le Ballet du Rhin, où j’étais ‘sûr d’avoir un travail’ ». Il remporte tout jeune trois concours chorégraphiques, mais rêve de rejoindre la compagnie de son mentor, le chorégraphe tchèque Jiří Kylián. « J’avais dit que je me lancerai dans la chorégraphie si je ratais l’audition. » C’est ainsi qu’il met fin, en 1986, à sa carrière de danseur pour fonder la compagnie Temps présent. Celle-ci s’installe à Élancourt puis à Saint-Étienne en qualité de « compagnie associée » à l’Esplanade Saint-Étienne Opéra. Autour de lui neuf danseurs. Six des neuf fidèles du temps passé sont toujours à ses côtés. « C’est l’équipe fondatrice. Avec le directeur délégué, Yves Kordian, et le directeur technique, Oswald Roose, on se connaît depuis 36 ans. Les maîtres de ballet, Richard Coudray et Françoise Dubuc sont l’ADN. Tous m’ont soutenu, ont cru en moi. Sans eux, je n’aurai jamais pu être chorégraphe.»

Un véritable esprit de corps

Malandain ne dit jamais « mon » centre chorégraphique national ou « mes » danseurs, mais utilise le « nous ». Un « nous » qui en dit long sur l’esprit communautaire des débuts. « Il porte la croix de la danse », lance Françoise Dubuc, « Si on est restés aussi longtemps, c’est qu’on a une grande confiance en lui et réciproquement ». « Il ficelle tout dans son monde » ajoute Richard Coudray, « il est porté par son instinct ». Pas un hasard si Thierry Malandain a choisi ces deux gardiens pour passer ses idées. Ces maîtres de ballet sont des personnages essentiels. 
« Outre le fait d’enseigner, nous sommes le tampon et le lien entre les danseurs et la direction, on fait beaucoup de social. » Sous son aspect froid, Françoise est directe, parle sans détours, incroyablement exigeante dans la pratique de son art. Il faut dire que la dame, après des débuts au Het National Ballet d’Amsterdam, interpréta plusieurs ballets auprès de Rudolf Noureev comme Principale au Ballet Théâtre Français de Nancy avant de monter une école de danse à Pau et de rejoindre Thierry au Ballet Biarritz.

Richard, cordial et joyeux, « plus diplomate aussi », a commencé sa carrière comme danseur au Ballet de Nancy. Il a participé à la création de Temps présent, a intégré au Chili le Ballet Nacional Chileno, et est passé par le Ballet de Nice pour devenir ensuite professeur de danse pour la Compagnie Hallet Eghayan, avant de rejoindre son ami à Biarritz. Un binôme complémentaire qui a aidé Malandain « à préparer le rêve, à transmettre son répertoire ».

Un pour tous,
tous pour un

Tout comme Dominique Cordemans et son mari Oswald Roose, amis dévoués à l’entreprise Malandain, « on fait partie du noyau dur, nous avons la même sensibilité artistique que Thierry. On a eu cette chance de continuer à promouvoir et faire évoluer la compagnie. » Dominique, après avoir accompli un parcours de danseuse au Ballet royal des Flandres et à Temps présent est le pivot des actions de sensibilisation auprès de différents publics. « Je commente des représentations, accueille des classes dans les studios où les élèves rencontrent les danseurs ou participent à des ateliers chorégraphiques, anime des stages de répertoire ouverts aux jeunes danseurs… Je veux leur transmettre l’exigence de la création, l’univers chorégraphique et musical riche et poétique de Thierry, les mettre sur le sentier d’une culture. » À contrario, Oswald « est un homme de l’ombre » comme il aime le dire. Mais sans lui, il n’y aurait pas de soleil.

Gymnaste puis danseur, ancien de Béjart, un problème de dos l’a contraint à se reconvertir. C’est lui qui coordonne les axes multiples de l’équipe technique, à la fois régisseur général et artiste, il intervient à tous les niveaux – son, lumière, réalisation des décors, sécurité – mais son truc à lui, c’est la lumière qui magnifie le ballet et ses protagonistes.

« C’est plus facile quand on a été danseur de conduire la lumière. Arabesque, pirouette, entrechat... je lis la danse ! »

« C'est difficile d'être beau. »

Et puis il y a ceux qui la subliment. Claire Lonchampt et Mickaël Conte qui incarnent La Belle et la Bête font partie depuis 2011 du Ballet Biarritz. Biberonnés au meilleur de la technique classique, elle au Zürich Ballet puis au Finnish National Ballet et au Het Nationale Ballet, lui au Ballet Biarritz Junior puis au CCN – Ballet de Lorraine, ils ont trouvé ici ce qu’ils n’avaient pas ailleurs : la liberté. « Thierry nous laisse libres d’expérimenter », explique Mickaël. Et Claire d’ajouter « il y a un lien créatif avec le chorégraphe, une sorte d’osmose qui s’établit entre la pensée de Thierry et la réponse que lui donne nos corps ». Mais en aucun cas, Malandain ne fait improviser ses danseurs comme dans le contemporain. C’est lui qui écrit ses mouvements et sa méthode de travail repose d’abord, comme pour tout ballet, sur le choix d’une musique et d’un sujet. Aussi a-t-il ancré ce ballet d’action narratif et très théâtral sur des pages symphoniques de Tchaïkovski dans lesquelles le compositeur russe « épanche son âme à la manière d’un poète lyrique (2) ». Tout comme le maître de l’harmonie, pour chacun de ces ballets et peut-être encore plus pour celui-ci, Thierry Malandain se dévoile, offrant au public le portrait d’un homme érudit et d’un artiste blessé. Car derrière le monstre malheureux (puissamment interprété par Mickaël Conte), imaginé par Mme Leprince de Beaumont, se cache, en référence à Cocteau, la figure de l’artiste, mais aussi son âme et son corps, aux prises avec la création, tourmenté par ses démons intérieurs. Pour le chorégraphe, tout est là, dans ce récit initiatique visant à résoudre la dualité de l’être. Peut-être pour cette raison qu’à la question êtes-vous plutôt bête ou belle, Thierry Malandain a répondu « plutôt bête ». Juste avant de lancer dans un sourire amusé : 
« C’est difficile d’être beau ».

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(1) Violette Verdy : 
danseuse, étoile de Balanchine au New York City, 
directrice de la danse à 
l’Opéra national de Paris.
(2) Tchaïkovski, lettre du 5 déc. 1878 à Nadejda von Meck.

Motion sculpture 

Thierry Malandain is a very soft-spoken man. Sometimes he stumbles over his words, or even stammers a little. “I lack a little self-confidence,” he confesses. Behind a pair of understated, rectangular glasses, he hides a modest shyness and speaks directly, no beating about the bush. In a simple navy-blue jumper, his hand often covering his mouth as if he were apologising for something, he’s an endearing character. Both distant and welcoming, modest and generous. A tortured soul too. And yet he is at the head of one of the most famous international companies in Europe – a pinnacle of achievement for this free spirit who never dreamed that one day he would direct one of the nineteen national choreographic centres in France. The Malandain Ballet Biarritz is a cohort of twenty-two full-time dancers trained in classical and neoclassical ballet techniques, a style that Thierry Malandain holds dear: “Since the 1980s, modernity and good taste were defined by modern dance, and that was that. I am a classical dancer and I have never turned my back on my roots. I studied under some of the most eminent teachers of the ballet world like René Bon, Monique Le Dily, Daniel Franck, Raymond Franchetti and Gilbert Mayer, after my first faltering steps in Vernon with Nicole Sohm. Classic principles are my baseline, but sometimes you have to break the mould.” Straying off the beaten track without forgetting the very essence of what makes classical ballet, is what he has been striving to do ever since he started out as a choreographer – a debut marked by a series of setbacks.

“I didn’t intend to be a choreographer, I wanted to be backstage designing sets and making costumes.”

At just nine years old, the young Malandain found his vocation while watching ballet on Channel on French television. The revelation was instantaneous. “I was at my grandparents’ house and at that time, I thought you could learn ballet by watching it on television. My parents didn’t have a TV set so I asked them to buy one, but the events of ’68 were overshadowing the ballet programmes!” His parents, “who, like many others, didn’t know the first thing about ballet and thought it was just a phase,” finally ended up enrolling the oldest of their six children in the only ballet school in the village. His vocation was clear, but it was too late to try applying to the Opéra ballet school or Conservatoire in Paris. At 17 years old, he was nonetheless taken on by the Opéra de Paris for four months, thanks to Violette Verdy (1) who noticed him in a ballet competition in Lausanne, “before my parents put me on the train for the Ballet du Rhin, where I was ‘sure to find a job”. Still very young, he won three choreographic competitions, but dreamt of joining the company of his mentor, the Czech choreographer Jiří Kylián, and “I told myself that I’d take up choreography if I failed the audition.” And that’s how in 1986, he put an end to his career as a dancer to create the company Temps présent. It started out in Elancourt, then moved to Saint-Etienne as an associate company at the Esplanade Saint-Étienne Opéra. He had a cohort of nine dancers, and six of the nine loyal followers from the past are still by his side today. “It’s the original team. I’ve known the assistant director, Yves Kordian, and the technical director, Oswald Roose, for 36 years now. The ballet masters, Richard Coudray and Françoise Dubuc are the DNA of the company. They have all supported me, believed in me. Without them, I could never have been a choreographer.” 

TRUE TEAM SPIRIT

Malandain never says “my” national choreographic centre, or my dancers, but uses rather “we” and “our” , which speaks volumes about the team spirit that has been thriving from the word go. “He carries the cross of ballet,” says Françoise Dubuc, “The fact that we are still here after all this time shows that we trust him implicitly, and we know that the feeling is mutual.” “In his world, there are no loose ends” adds Richard Coudray, “he’s guided by his instinct.” Not surprising then that Thierry Malandain chose these two guardians as sounding boards for his ideas. These masters of ballet are key players. “As well as teaching, we are the buffer and the link between the dancers and management; we do a lot of pastoral work.”Underneath her frosty exterior, Françoise is frank, direct and incredibly demanding when practising her art. It has to be said that this lady, after her debut at the Het National Ballet in Amsterdam, danced several ballets with Rudolph Nureyev as Principal soloist at the Ballet Théâtre Français de Nancy before setting up her own dance school in Pau, and then joining Thierry at the Ballet Biarritz. Richard, cordial, cheerful, and “more diplomatic too,” began his career as a dancer in the Ballet de Nancy. He helped in creating Temps présent,

then joined the Ballet Nacional Chileno in Chile, danced for a few seasons with the Ballet de Nice and moved on to become a ballet instructor for the Hallet Eghayan company, before joining his friend in Biarritz. A complementary pairing that helped Malandain “to prepare the dream and pass on his repertoire.”ONE FOR ALL AND ALL FOR ONE

Just like Dominique Cordemans and her husband Oswald Roose, friends devoted to the Malandain company, “we’re part of its core and have the same artistic sensitivity as Thierry. It has been a great opportunity to promote and develop it.” Dominique, after a career as a dancer with the Ballet Royal des Flandres and Temps présent, is the kingpin of awareness-raising initiatives for different target audiences. “I commentate performances, welcome classes into the dance studios where students meet the dancers or participate in choreographic workshops, and organise master classes open to young dancers. “I want them to feel the demands of creation, of Thierry’s rich, lyrical choreographic and musical universe, set them on the road to a culture.” Oswald, on the other hand, is a self-confessed “man of the shadows” as he likes to say – but without him, there wouldn’t be any light.  

First a gymnast, then a dancer, one of Béjart’s former protégées, he was forced to make a career change when he started having back problems. Oswald coordinates the many different aspects of the technical team: both general director and artist, he is involved in everything – sound, lighting, set design, safety, – but what really fires him is the lighting that embellishes the ballet and enhances the leading dancers.

“When you’ve been a dancer yourself, it’s a lot easier to train the light where it needs to be. Arabesque, pirouette, entrechat…I read the dance!”

“Beauty takes pains”

Then there are those who outshine the light. Claire Lonchampt and Mickaël Conte who play Beauty and the Beast, have been with the Ballet Biarritz since 2011. Having trained with the best in classical ballet technique, Claire with the Zürich Ballet and then with the Finnish National Ballet and the Het Nationale Ballet, and Mickaël with the Ballet Biarritz Junior then the CCN – Ballet de Lorraine, found something here they had never had elsewhere: freedom.  “Thierry gives us free rein to experiment,” Mickaël explains. There’s a creative relationship with the choreographer,” adds Claire, “a sort of osmosis that takes place between Thierry’s thoughts and ideas, and the way our bodies respond to them.” But under no circumstances does Malandain have the dancers improvise as in modern ballet. He scripts the movements and his work method, as for any ballet, is based first and foremost on the choice of a musical score and a subject. That’s how he set this highly theatrical ballet of narrative action to the pages of Tchaïcovski’s symphonies, where the Russian composer “lets his soul flow out as the lyric poet lets his soul flow out in verse (2)”. Just like the master of harmony, for each one of his ballets and perhaps even more so for this one, Thierry Malandain removes his mask, showing his audience the portrait of a learned man and an injured artist. Because behind the unhappy beast (powerfully interpreted by Mickaël Conte), created by Mme Leprince de Beaumont, and with references to Cocteau’s original film, hides not only the artist’s face, but also his body and soul, grappling with creation, tormented by his inner demons. For the choreographer, everything is there, in this initiation story that seeks to resolve the duality of human existence. Perhaps that’s why when asked whether he would define himself as beauty or beast, Thierry Malandin answered “beast I would say.” Just before adding with an amused smile: “beauty takes pains.”   

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(1) Violette Verdy: one of Balanchine’s principal dancers at the New York City ballet, Director of the national Paris Opéra ballet.
(2) Tchaïkovski, in a letter to Nadejda von Meck, dated 5thDecember 1878.

BLOSSOM #04
Visite privée
Révélateur de mouvements

Rédaction : Catherine Nerson
Photos : Sébastien Arnouts

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