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Le fil… à la patte Lartigue 1910

Son métier ? Tisserand de linge basque. Sa vocation ? Retisser le lien avec le passé. Philippe Lartigue, à la tête de Lartigue 1910 croise des fils dans l’obstination artisanale de la chaîne et de la trame. Une aiguille vers le Sud-Ouest, une aiguille vers le cœur. La rayure est son ADN et ça fait plus d’un siècle que ça dure…

À deux kilomètres au Sud de la gare d’Oloron-Sainte-Marie, sur l’avenue Georges Messier, une grande maison en « L », et une enseigne : « Lartigue 1910, créateur-tisserand de linge basque, visite atelier, vente ». Pas une seule pancarte depuis Oloron pour signaler qu’ici, à Bidos, dans cette petite commune des Pyrénées-Atlantiques de 1200 âmes, se trouve l’un des derniers tisserands de linge basque. Et pourtant le lieu vaut le détour. Les fabriques de tissage de linge basque dont les machines tournent encore aujourd’hui font quasi figure de résistantes. Philippe Lartigue fait partie de ces maîtres artisans tisserands qui se posent en tant que garants et défenseurs de l’histoire du textile basque. Il a cela dans le sang. La faute à son ancêtre. « C’est dans cette maison, que mon arrière-grand-père a monté son atelier. On raconte que c’est sa femme qui lui aurait conseillé de se former au métier de tisserand ! ». En 1909, Calixte, jusque-là agriculteur, part donc apprendre le métier dans les filatures du Nord de la France. De retour, il crée, en 1910, avec sa femme Anastasie, dans une ancienne tannerie, l’un des premiers ateliers de fabrication de toiles à espadrilles et à bérets de la région. « À l’époque, les espadrilles étaient des chaussures de travail, souligne Philippe Lartigue.

Notre établissement fournissait les plus importants fabricants d’espadrilles de Mauléon. L’un d’entre eux sortait 5 millions de paires par an ! » Ses descendants successifs prennent la relève : « Dans les années 80, suite au déclin de la fabrication locale d’espadrilles entraîné par l’arrivée sur le marché français des premières importations d’Asie, mon père et son cousin décident de diversifier leur production et rachètent un petit fabricant de linge basque situé à Oloron-Sainte-Marie, les établissements Laclau. C’est à ce moment que mon père m’a demandé de rejoindre l’entreprise. » Lui qui n’était pas prédestiné à reprendre l’affaire familiale « J’ai fait des études de Sciences éco », se forme pendant quelques années « J’ai passé tous les échelons ! » et prend la direction de l’activité de tissage de linge basque en 1989. Naissent les Tissages Lartigue. « Dès 1998, nous avons stoppé la fabrication de la toile d’espadrilles pour le compte d’autres fabricants mais nous continuons avec une douzaine de modèles pour notre propre marque. En matière de tissus, l’arrivée de stylistes nous a permis d’être plus créatif, de revisiter les rayures façon bayadères et de suivre les tendances du design. »

Seules l’histoire et la qualité font la différence. Teinture, embobinage, ourdissage, filage, tissage, couture, tout est fabriqué sur place.

Soyez sympas,
rembobinez

Pour la petite histoire, si les entreprises de tissage de linge basque se sont installées majoritairement au début du XXe siècle dans le Béarn, c’était tout simplement pour utiliser l’énergie hydraulique dispensée par un Gave turbulent, offrant une ressource abondante adaptée au tissage mécanique. D’autre part, le Béarn et le Pays Basque étaient des zones géographiques au climat propice à la culture du lin. Aussi le linge basque était à 100 % constitué de cette plante. « La genèse du linge basque est une toile de lin avec sept rayures colorées appelée mante que l’on mettait sur le dos des bœufs, explique Philippe Lartigue. Ses sept rayures représentaient les sept provinces basques. Quant à la largeur de celles-ci, on dit qu’elle indiquait la position sociale. » C’est avec le développement du tourisme d’après-guerre que le tissu devient décoratif et dédié aux arts de la table. « Au lin, nous avons ajouté des produits en coton, plus facile à travailler, à vivre, à laver et moins onéreux. » Depuis quelques années, avec les ateliers de tissage Moutet, qui existent depuis 1919 à Orthez, Lartigue 1910 essaie de mettre en place une IGP (Indication Géographique Protégée) pour lutter contre les contrefaçons et les abus. En effet, pour être garanti d’origine, le linge basque doit être tissé dans une zone géographique bien précise, les Basses Pyrénées. Cette zone fut définie en 1953 par le syndicat des tisseurs de linge basque. « Face à la concurrence portugaise, des pays de l’Est ou de la Chine, nous n’avons pas beaucoup de poids.

Si comme La Porcelaine de Limoges on obtenait ce label, nous pourrions être les seuls à être estampillés « linge basque garanti d’origine ». Mettre en avant le côté producteur local serait une consécration. »

La rayure
sous toutes les coutures

On comprend la pugnacité de Philippe Lartigue lorsqu’on découvre ce qui se cache derrière les tissus vendus au mètre, les nappes, torchons, tabliers, maniques, rideaux, coussins, sacs de plage ou de ville, trousses de toilette, étuis à lunettes, sorties de bain ou peignoirs… Toute une collection où la rayure rayonne dans une infinité de couleurs, à dénicher dans les deux magasins d’atelier à Bidos et à Ascain et les boutiques de Saint-Jean-de-Luz et Biarritz. À la création, intégrée depuis plus d’un an, une styliste, Marie, née dans les Landes « avec des origines basques ». Après des études à l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art de Paris, elle travaille dans l’horlogerie pour une marque française de montres. « C’était un produit souple, très créatif designé en France mais fabriqué à Hong Kong. J’avais envie de trouver une griffe avec des racines, de revenir dans le Sud-Ouest et surtout d’offrir mes compétences à une entreprise virtueuse. » Marie apprend que la maison Lartigue cherche un designer. L’établissement ayant obtenu en 2017 le label « Entreprise du Patrimoine Vivant », elle fonce. « Mon rôle est d’être en veille sur l’humeur du temps tout en gardant l’ADN de l’entreprise. Il faut toujours qu’il y ait un lien avec l’histoire de notre région, notre folklore, nos valeurs. »
Pour écrire de nouvelles toiles, la jeune femme chine les tendances dans les salons de décoration, lit beaucoup de magazines, de livres d’art, s’inspire de la nature qui l’entoure, et parfois même d’une discussion avec des clients.
« En moyenne, nous avons quatre nouveaux modèles de toiles par an. Nous ne pouvons pas trop élargir la gamme, la confection ne suivrait pas ! Nous échangeons régulièrement avec M. Lartigue et sa femme Caroline qui s’occupe de la communication et de la vente. C’est un poste important car il permet de mieux appréhender ce qu’aime notre clientèle. »

Montre-moi
ta bobine

Dans une volonté de transparence, de partage et de découverte de leur art, les tissages Lartigue ouvrent leurs ateliers de Bidos et d’Ascain au public.
Derrière la complexité du processus et le bruit de torrent des machines à tisser, l’humain apparaît. Essentiellement des femmes. Les rares hommes rencontrés, Yoan et Florent, s’occupent du bon fonctionnement des machines.
Le premier était dans la maintenance, le second dans le bâtiment. « Une fois formés, ce n’est pas très compliqué, il faut aimer la mécanique et connaître l’électricité, avoir un côté MacGyver ! ». Novices, on a du mal à comprendre comment marchent ces grosses machines industrielles, mais la magie opère dès que l’on entre dans la salle de l’ourdissage. Ils sont accompagnés et formés par Pierre le responsable de la production de l’atelier de tissage à Ascain. Bobines aux milles couleurs, entrelacs de fils tendus comme une toile d’araignée poétique qui fait penser à l’œuvre de l’artiste japonaise Chiharu Shiota. Aux commandes de ce tableau, précurseur d’une future toile, Patricia, CAP couture et 20 ans d’ancienneté. À ses côtés, depuis 4 ans, Laëtitia, à qui elle a transmis son savoir. Elles sont chargées de préparer et de disposer avec habilité sur l’ourdissoir les fils de la chaîne réunis et tendus en rouleau de 800 mètres, équivalent à 300 kilos, avant de les monter sur le métier à tisser. « Il faut beaucoup de concentration, ne pas se tromper de couleur, ne pas oublier des fils et surtout avoir une bonne vue ! ».

Le tissage comme l’écriture est un jeu de combinaisons. Avec des mots ou des motifs, tout semble possible. « Ce qui m’émerveille le plus, c’est de voir ce que l’on peut faire à partir d’une bobine de fil ! ». Nathalie est tisseuse depuis 7 ans et responsable de la production. « J’avais postulé pour être vendeuse dans la partie magasin mais lorsque Monsieur Lartigue m’a fait visiter l’atelier, ce fut comme une évidence, je lui ai dit que je préférerais apprendre à tisser… «  Elle apprend donc « sur le tas », comme la plupart de ceux qui entrent ici. Le savoir se transmet. Les anciens forment les nouveaux, tous issus de la région. Agnès, responsable de l’atelier couture a 22 ans de maison. « Je suis la plus ancienne ». Après un CAP de couture, industrie de l’habillement, elle a fait ses classes dans la coupe du cuir utilisé pour les chaussures et est entrée chez Lartigue suite à l’envoi d’un CV. « Tout simplement ». « Quand les tissus et les toiles arrivent, on fait les gabarits de chaque pièce de la collection en suivant à la lettre les dessins de Marie. On coupe, on assemble et on coud. » Maîtrise et précision, passion et savoir-faire, les Tissages Lartigue travaillent avec amour et authenticité et tant que perdurera la rayure, espérons que jamais ils ne tireront un trait.

The ties that bind: Lartigue 1910

His profession? Weaver of Basque cloth. His vocation? To stitch an invisible seam between past and present.  At the helm of Lartigue 1910, Philippe Lartigue deftly weaves his warp and weft threads with resolute craftsmanship, following the twin stars of the southwest region and his heart. Stripes are in his DNA and have been for over a century…

Two kilometres south of the railway station in Oloron-Sainte-Marie, on Georges Messier avenue, stands an imposing L-shaped house bearing a sign “Lartigue 1910, designer-weaver of Basque cloth, workshop visit – boutique.” There isn’t a single sign in the road from Oloron to indicate that here in Bidos, a small village of 1,200 residents in the Pyrénées-Atlantiques, is the house of one of the last weavers of Basque cloth. And yet it’s well worth the visit. The workshops where homespun Basque cloth is woven on machines that still run today are almost the last bastions of this age-old craft. Philippe Lartigue is one of the few master-craftsmen weavers who uphold and defend the history of Basque cloth. It runs in his veins. His ancestors’ fault really. “It was in this very house that my great grandfather built his workshop. It’s said that it was his wife who advised him to learn how to weave!”  In 1909, Calixte, who had been a farmer, left to learn the profession in the spinning mills of Northern France. When he returned to the South West in 1910, he and his wife Anastasie created one of the first workshops in the region for making cloth for espadrilles and berets in an old tannery. “Back then, espadrilles were footwear for work,” Philippe Lartigue points out.

“Our factory supplied the biggest espadrille manufacturers in Mauléon. One of them produced 5 million pairs a year!” His successive descendants took over the reins and “in the 1980s, following the decline in local manufacturing of espadrilles triggered by the arrival of the first Asian imports on the French market, my father and my cousin decided to diversify their production and bought the Laclau establishment, a small Basque cloth factory in Oloron-Sainte-Marie. That was when my father asked me to join the company.”  Philippe hadn’t intended to take over the family business: “I studied economics,” trained for a few years (“I climbed every rung of the ladder!”) and took over as head of the Basque cloth-weaving activity in 1989. And so tissages Lartigue was born. “In 1998 we stopped weaving cloth for espadrilles for other manufacturers but continued with about a dozen patterns for our own brand. In terms of fabrics, the arrival of stylists added a flourish of imagination and creativity, restyling bayadere stripes and following the latest designer trends.”

Let’s spool back a bit

Just for a bit of background history, the reason why most Basque cloth weaving industries set up at the beginning of the 20th century in the Béarn region was because they could use the hydraulic power produced by the turbulent Gave, an abundant source of energy suitable for mechanical weaving looms. Also the Béarn region and the Basque Country were geographic areas that naturally lent themselves to growing flax, and so Basque cloth was entirely made of linen. “Basque cloth started out as a piece of linen fabric with seven coloured stripes called a mantle that was put on the backs of oxen,” Philippe Lartigue explains. “The seven stripes represented the seven Basque Provinces, and legend has it that the width of the stripes was an indication of social status.” The development of the post-war tourism industry turned the traditional cloth into a decorative fabric for tableware. “We combined cotton products with the linen, as they are easier to work with, to use, to wash, and they’re also less expensive. It’s the only thing we import from India for our creations.” For a few years now, together with Ona-Tiss, a woven cloth company whose Basque cloth weaving workshops have been running in Saint Palais since 1948, Lartigue 1910 has been trying to obtain an IGP (Protected Geographical Indication) to combat counterfeit products and misuse of the name. To be declared authentic, Basque cloth must be woven in a very specific geographical area, the Basses Pyrénées. This zone was defined in 1953 by the Basque cloth weavers’ trade union. “With competition from Portugal, the Eastern countries and China, we don’t have much influence. It’s the history and quality that make the difference. Dyeing, spooling, warping, spinning, weaving, sewing – everything is done on site. If we obtained the label, just like Limoges porcelain, we would be the only manufacturers authorized to use “Basque cloth” on our fabrics. Being able to promote local production would be a real godsend.”

Stripes in all shapes and sizes

It’s easy to understand Philippe Lartigue’s feistiness when you discover what hides behind the fabrics sold by the metre; the tablecloths, teacloths, aprons, potholders, curtains, cushions, beach bags or hand bags, toilet bags, glasses cases, bathrobes and dressing gowns. An entire collection sporting stripes in an infinite spectrum of colours that can be viewed in both workshop outlets in Bidos and Ascain, and in the boutiques in Saint-Jean-de-Luz and Biarritz. The designer behind the stripes, who has been with the company for over a year now, is a stylist called Marie, who “has Basque origins” but was born in the Landes region. After studying at the École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art in Paris, she worked in watchmaking for a French brand of watches. “It was a really versatile and creative product, designed in France but manufactured in Hong Kong. I wanted to find a longstanding brand name with a soul, to come back to South West France and above all, to lend my skills to an ethical company.”  Marie found out that the Lartigue house was looking for a designer and, as the establishment had been awarded the “Living Heritage Company” label in 1997, she didn’t think twice. “My role is to keep my finger on the pulse regarding current trends while preserving the company’s DNA. There always has to be a reference to the history of our region, our folklore and our values.”  To sketch out new fabrics, the young lady teases out what is “in” in interior design shows, reads a lot of magazines and art books and gleans inspiration from the nature around her and sometimes even from conversations with customers. “We have about four new fabric designs per year on average. We can’t extend the range too far because we wouldn’t be able to keep up in terms of manufacturing! We have regular discussions with Mr Lartigue and Caroline, his wife, who takes care of the communication and sales side of things. It’s an important job because it helps us get a clearer idea of what our customers like.”

 

Behind the scenes…

Lartigue cloth weavers have always wanted to be transparent, to share their art and allow others to discover it, so their workshops in Bidos and Ascain are open to the public. Behind the complex process and the torrential noise of the weaving looms in action, the hands that weave appear. Mainly women’s hands. The few men we came across, Yoan and Florent, make sure that the machines work properly. Yoan used to work in maintenance, Florent in the construction industry. “Once you’ve had the right training, the job’s not that complicated really. You just have to like mechanics and know about electricity, have a MacGyver side to you!” As outsiders, we find it hard to understand how these huge industrial machines work, but the magic does the trick as soon as we enter the warping room. Bobbins in a kaleidoscope of colours, interlaced threads stretched taut like a poetic spider’s web, reminiscent of the work of Japanese artist Chiharu Shiota. At the controls of this tableau with its promise of a future cloth, sits Patricia, who has a CAP[1] in needlework and has been with the company for 20 years. Next to her sits Laetitia, who has been working at Lartigue for 4 years now, and benefits from Patricia’s years of know-how. Their job is to prepare and deftly arrange the warp threads together on the warper, wound tightly on an 800 metre roller weighing some 300 kilos, before assembling them on the loom.

“It takes a lot of concentration to make sure you put the right colour in the right place, don’t miss any threads out, and you need to have good eyesight too!” Just like writing, weaving is a about mixing and matching – with the right words and patterns, anything is possible. “I’m always amazed by what we can do with a spool of thread!” Nathalie has been weaving for 7 years and is now head of production. “I applied to be a salesperson in the boutique but when Mr. Lartigue took me on a tour of the workshop, it just struck me that what I really wanted to do was weave, so I asked him if I could learn.”  So she learned the profession “hands on”, like most of the other employees working here. Knowledge and skills are passed on from the ‘old hands’ to the newcomers, all from the region. Agnès, the workshop manager, has been here for 22 years now. “I’ve been here the longest,” she says. After obtaining her CAP in sewing and the clothing industry, she started out cutting leather used for shoemaking and later joined Lartigue after having sent her CV. “Just like that.” “When the fabrics and cloths come in, we create the patterns for each item in the collection and follow Marie’s designs to the letter. We cut out, assemble and sew.” Skill and accuracy, passion and know-how, the employees at Lartigue’s weaving mill work with passion and sincerity. As long as the stripes continue to run off the looms, let’s hope that they’ll never draw the line.

[1] CAP = Cértificat d’aptitude professionnel, a French vocational training and competencies certificate

BLOSSOM #06 
Visite privée
Le fil… à  la patte
Lartigue 1910

LARTIGUE 1910
Avenue Georges Messier 64400 BIDOS
05 59 39 50 11
contact@lartigue1910.com
www.lartigue1910.com