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De Lady Liberty à Ellis Island

Mon dernier jour à New York sera consacré à la visite de la Statue de la Liberté et d’Ellis Island.

La traversée en ferry dure 15 minutes. Du pont du bateau, la skyline de Manhattan et le fameux pont de Brooklyn apparaissent sous un autre jour, une autre facette. Lady Liberty s’aperçoit de loin. Au fur et à mesure que nous approchons, la statue devient de plus en plus impressionnante par la puissance et le symbole qu’elle représente. Son nom « La liberté éclairant le monde ». Je trouve l’allégorie très belle et je suis fière de penser que ce monument si visité, si puissant, est un cadeau, un gage d’amitié de la France à l’Amérique.

Une fois débarquée sur l’île, la Lady se déploie devant moi de toute sa hauteur. Elle est majestueuse sur son piédestal posé sur un tapis de pelouses vert émeraude. J’en fais le tour plusieurs fois attirée comme un aimant par le moindre détail. Je la scrute sous toutes les coutures. Je regarde son visage, le mouvement du bras levé qui tient la torche, symbolisant la lutte contre l’oppression, la couronne solaire représentant les 7 continents et les 7 mers du globe, le drapé de la robe et les chaînes brisées de l’esclavage déposées à ses pieds. Sa main gauche tient une tablette sur laquelle figure la date du 4 juillet 1776, date de la déclaration d’indépendance des États-Unis. Alors je pense puissance, courage, détermination, espoir. L’espoir d’une vie meilleure, pour des milliers de gens venus de la vieille Europe tenter leur chance.

Je me pose un moment aux pieds de la vieille dame et je regarde au loin. J’imagine les bateaux approcher du port de New York et les cris de joie de ces hommes, femmes et enfants venus tenter leur chance dans ce nouveau monde avec dans leur poche un passeport pour une nouvelle vie. Quelles ont été leurs pensées lorsqu’enfin ils ont aperçu Miss Liberty au terme d’un voyage souvent long et épuisant ? Que sont-ils devenus ? Ont-ils réussi ou bien l’eldorado était-il un mirage ?

Malgré l’agitation des touristes autour de moi, cet endroit est comme un havre de paix propice à la réflexion. Ici, j’ai envie de m’arrêter un instant sur ce que le mot liberté signifie aujourd’hui. C’est un joli mot Liberté. On sent une légèreté lorsqu’on le prononce, comme une brise venue vous caresser la joue. C’est un mot féminin, qui inspire douceur et tendresse. Il a été déclamé, chanté, hurlé. On l’a désiré, piétiné ou savouré, on l’a pleuré, on a construit des barricades et défait des liens autour de lui. C’est un mot qui a traversé les âges et qui continuera son chemin, parfaitement tracé pour certains et bien trop sinueux pour d’autres.

Ce moment me fait prendre conscience qu’avoir la chance de voyager, de réaliser certains de mes rêves et de vivre des émotions comme celles-ci, c’est aussi ça la Liberté !

Je reprends le ferry avant de rejoindre Manhattan pour faire un stop, sur Ellis Island, la petite île voisine où se trouve le musée national de l’immigration des États-Unis. Ce superbe bâtiment rouge et blanc a vu débarquer, entre 1892 et 1954, 12 millions de personnes venues pour la plupart d’Europe et rêvant de liberté et d’espérance.

Lorsque j’entre dans le bâtiment, me vient à l’esprit l’image de ces familles pénétrant en file indienne dans cet immense hall, éreintées par leur voyage pénible et foulant enfin la terre promise. Visiter cet endroit, c’est partager un peu le destin de ces hommes et de ces femmes. Je perçois une sorte de ferveur et de respect qui se dégage du lieu. Répartis sur plusieurs demi-étages, des archives, des photos, des objets et un tas de vieilles valises témoins du passé…En parcourant ces couloirs, j’ai l’impression de toucher l’âme de ces gens, leurs doutes, leurs peurs et leur désir de construire une vie nouvelle. Pour certains, ce sont des mois ou peut-être des années passées à économiser sou par sou pour pouvoir financer ce fameux voyage, puis des jours interminables entassés sur un bateau. Une fois débarqués sur l’île, les premières heures sont éprouvantes, voire humiliantes : on les examine, on inspecte leurs dents, leur peau, leur corps, c’est le passage obligé pour obtenir le fameux sésame et avoir le droit d’entrer en Amérique. Ceux qui sont rejetés doivent embarquer sur le même bateau que celui qui les a amenés, emportant avec eux le rêve d’un eldorado devenu poussière. Ceux qui sont admis partent vers l’inconnu. Pour certains une belle aventure les attend, pour d’autres une vie d’exilés, dépossédés peu à peu de leur ancienne culture pour épouser celle de leur pays d’accueil. Ma poitrine se serre à la vue de photos en noir et blanc de ces visages de toutes origines qui ont pourtant écrit des pages entières de l’histoire de New York.

Toute une partie du musée est consacrée aux témoignages de fils et filles, petits fils et petites filles de migrants. Dans ces vidéos, tout sourire, ils racontent leur famille, leur histoire, leurs secrets, tous reconnaissants à cette grande nation de leur avoir permis d’être aujourd’hui ce qu’ils sont : de vrais américains. Mais la nationalité américaine se mérite ! Sur tout un pan de mur figure plus de 100 questions auxquelles doivent répondre les candidats pour devenir américains. Il faut connaître parfaitement l’histoire des États-Unis, bon nombre d’articles de la Constitution, des personnages ayant marqué leur époque dans le domaine des arts, de la musique ou de la politique. Je teste mes connaissances et constate que je ne suis pas vraiment prête à changer de nationalité !

Ce qui m’a aussi beaucoup frappée lors de cette visite, ce sont ces petits bureaux sur lesquels sont installés des ordinateurs en libre-service. Ils contiennent quasiment l’ensemble des archives et surtout l’identité des migrants passés par Ellis Island, le jour de leur débarquement ainsi que les rapports médicaux et administratifs effectués à leur arrivée. C’est de cette manière que bon nombre d’américains ont pu reconstituer l’histoire de leur famille. J’ai consulté la base de données en entrant mon nom mais la recherche n’a rien donné. Je n’ai retrouvé aucun oncle d’Amérique, dommage !

Ces deux visites vont mettre un point final à mon premier voyage à New York. En rentrant sur Manhattan, et en posant le pied sur la terre ferme, j’ai eu une pensée émue pour tous ceux qui avant moi ont fait la traversée depuis Ellis Island, mais pour ne jamais repartir.

BLOSSOM #03 NOVEMBRE 2016 
De Lady Liberty à  Ellis Island
Marianne, 50ans